Eglises d'Asie

Les témoins au procès des meurtriers de Shahbaz Bhatti sont menacés de mort

Publié le 10/02/2014




A l’approche du procès des meurtriers du ministre des Minorités Shahbaz Bhatti, abattu en 2011 par les talibans, ces derniers menacent de mort les témoins et défenseurs du chrétien assassiné, pour qu’ils ne se présentent pas au tribunal.En septembre dernier, la police d’Islamabad a arrêté deux suspects, Hammad Adil and Umer Abdullah.

Ces derniers ont avoué leur implication dans l’assassinat de Shahbaz Bhatti et leur procès est pendant devant la Cour anti-terroriste de Rawalpindi.

Mais les menaces des extrémistes ralentissent le procès du meurtre de l’ancien ministre des Minorités qui doit s’ouvrir le 19 février prochain, peut-lire depuis le samedi 8 février sur le journal en ligne Dawn, qui rapporte également que Paul Bhatti, frère du ministre assassiné, vient de quitter le Pakistan pour l’Italie.

Sur une chaîne câblée du Pakistan, le frère de Shahbaz Bhatti a révélé que « les talibans du Pendjab avaient déposé des tracts dans [son] bureau de Lahore [l’]avertissant des terribles conséquences qu’auraient pour [lui] la poursuite de l’enquête sur l’assassinat de [son] frère ».

Shahbaz Bhatti, catholique convaincu, a été abattu le 2 mars 2011 pour avoir critiqué la loi anti-blasphème en vigueur au Pakistan et défendu Asia Bibi (1), une mère de famille chrétienne condamnée à mort à la suite de fausses accusations de blasphème contre Mahomet.

Après l’assassinat de son frère, Paul Bhatti, qui vivait en Italie où il exerçait la profession de chirurgien, a été appelé par le gouvernement pakistanais à reprendre le flambeau de l’ancien leader des minorités. Après une courte période où il a été tenté sans succès de maintenir le portefeuille de ministre des Minorités, Paul Bhatti a été nommé conseiller du Premier ministre pour l’Harmonie nationale, un poste à l’intitulé ambitieux mais dénué de réels moyens d’action.

Le frère de Shahbaz Bhatti a cependant pu jouer un rôle actif dans la libération de Rimsha Masih, une adolescente chrétienne, handicapée mentale, accusée faussement de blasphème par l’imam de son village qui voulait « chasser les chrétiens de la région ».

Critiquant sévèrement l’attitude du gouvernement pakistanais qui ne « lui assuré aucune protection », le frère de Shahbaz Bhatti a déclaré qu’il avait dû fuir le Pakistan et les menaces des talibans afin de « sauver [sa] vie ».

Son frère avait été assassiné dans des conditions semblables. Il avait été désigné nommément comme « la prochaine victime » des islamistes qui venaient de tuer le gouverneur du Pendjab Salmaan Taseer pour son soutien à la chrétienne Asia Bibi et son projet d’amendement de la loi anti-blasphème, mais aucune protection policière ne lui avait été accordée. Shahbaz Bhatti avait été abattu à Islamabad, en plein jour, au volant de sa voiture dont les forces de sécurité avaient refusé que les vitres soient à l’épreuve des balles.

Au fur et à mesure que se rapproche la date du procès, les menaces des talibans se sont fait plus pressantes, a rapporté le 8 février la All Pakistan Minorities Alliance (APMA), organisation dont Paul Bhatti est le président.

« Des lettres de menaces émanant des talibans du Pendjab ont été trouvées dans le bureau de notre témoin-clé, dont nous ne pouvons donner le nom pour des raisons de sécurité », a déclaré Shamoon Gill, porte-parole de l’APMA à l’AFP. Elles avertissent le témoin « de se retirer du dossier ou de se préparer à être tué ainsi que toute sa famille », ajoute Shamoon Gill. Ce témoin, qui doit comparaître devant la Cour le 19 février prochain, est « terrifié et doit changer sans cesse de lieu de résidence », précise encore le porte-parole de l’APMA.

Quant à Rana Abdul Hameed, l’avocat de Paul Bhatti, lequel est plaignant dans cette affaire et représente le Shahbaz Bhatti Memorial Trust, il n’a pas caché que la fuite de son client affectait d’ores et déjà la préparation du procès. Me Hameed a cependant déclaré qu’il n’envisageait pas d’abandonner l’affaire pour laquelle il s’était engagé personnellement et ce, malgré les menaces qu’il recevait lui aussi, selon le même modus operandi. « Des tracts ont été laissés également dans mon bureau m’avertissant de ne plus m’occuper de cette affaire », rapporte-t-il.

Me Hameed est également visé pour avoir défendu Rimsha Masih, qui, en dépit du fait qu’elle avait été innocentée, continuait d’être menacée de mort et a dû finalement trouver refuge au Canada avec toute sa famille. « [Les talibans] me disent : vous avez libéré Rimsha, maintenant vous êtes en train d’accuser nos camarades ; vous devez recevoir pour tout cela une bonne leçon. »

Malgré sa détermination à ne pas céder aux menaces de mort, l’avocat n’espère plus guère une issue favorable au procès. « Paul Bhatti est à l’étranger, il ne peut revenir au Pakistan, notre principal témoin est menacé de mort, nous recevons nous-mêmes des menaces permanentes. Que peut-on attendre de ce procès ? Cela ne peut aboutir à rien », reconnaît-il.

Pour d’autres, la situation critique qui règne au Pakistan doit tout au contraire provoquer un ultime retournement, comme l’exprime de façon anonyme un journaliste dans une tribune du site d’information Let us build Pakistan (LUBP).

« Les lettres qui ont été envoyées par la section pendjabie du Tehreek e Taliban (TTP) aux témoins du procès en cours sont similaires à celles qui avaient été déposées sur le lieu de l’assassinat de Shahbaz Bhatti, écrit-il. Nous devons faire face aujourd’hui à un terrible dilemme : que devons-nous choisir ? Faire justice à ce héros que nous chérissons tous ou protéger ceux qui n’hésitent pas à risquer généreusement leur vie pour que la justice éclate ? »

« Lorsque Shahbaz a été assassiné, poursuit-il, il y a eu un grand mouvement de protestation à travers le pays contre cette épouvantable injustice (…). Mais aujourd’hui la même chose est en train de se répéter. Que fait donc la nation du Pakistan ! Allons-nous nous contenter de nous asseoir devant nos ordinateurs, d’écrire des rapports et de nous serrer les mains en nous disant : « Quelle tragédie pour le Pakistan ! », ou allons nous descendre dans la rue et crier « Assez, assez de tout ce sang ! »

Alors que le gouvernement pakistanais vient d’entamer ce week-end « des pourparlers de paix » avec les talibans du TTP et d’autres groupes gravitant autour du mouvement terroriste, l’implication de ces derniers dans les menaces de mort visant à faire échouer le procès des meurtriers de Shahbaz Bhatti inquiète les minorités qui y voient « l’influence grandissante des extrémistes dans la vie du pays ».

(eda/msb)