Eglises d'Asie

Le pape François adoptera-t-il une attitude « pragmatique et flexible » envers Pékin ? envers Taipei ?

Publié le 14/03/2013




Au lendemain de l’élection du cardinal argentin Bergoglio sur le siège de Pierre, le Parlement chinois élisait le chef du Parti communiste chinois (PCC), Xi Jinping, à la présidence de la République populaire de Chine. Autant l’élection du nouveau pape a constitué une surprise pour l’ensemble des observateurs, autant celle du président chinois était acquise, les organes de l’Etat chinois étant soumis au Parti et …

… Xi Jinping ayant été porté à la tête du PCC lors de son XVIIIème Congrès en novembre dernier. La diplomatie chinoise n’en a pas moins continué à fonctionner et, ce 14 mars, lors du point presse quotidien du ministère des Affaires étrangères, Hua Chunying, sa porte-parole, a, au nom de la Chine populaire, « félicité le cardinal Bergoglio pour son élection en tant que nouveau pape ».

La porte-parole a ajouté que le gouvernement chinois était « sincère dans sa volonté de normaliser ses relations » avec le Vatican et que la Chine « espérait que, sous la direction du nouveau pape, le Vatican adoptera[it] une attitude souple et pragmatique afin de créer les conditions d’une amélioration des relations ». La porte-parole réitérait enfin les deux exigences traditionnelles de Pékin pour y parvenir, à savoir la rupture des relations diplomatiques entre Taiwan et le Saint-Siège ainsi que la non-ingérence « dans les affaires intérieures de la Chine, y compris sous prétexte de religion ».

En avril 2005, lors de l’élection du cardinal Ratzinger sur le trône de Pierre, le message du ministère chinois des Affaires étrangères avait été identique, quasiment au mot près. Le gouvernement n’avait pas « félicité » le nouvel élu mais il avait exprimé ses « chaleureuses salutations ». Il n’avait pas été fait mention d’une « attitude souple et pragmatique » mais de l’espoir de voir le nouveau pape « créer les conditions favorables à une normalisation des relations ». Quant aux deux conditions, elles avaient été exprimées exactement dans les mêmes termes. Le seul élément qui différencie les réactions de la Chine entre l’élection de Benoît XVI et celle de François est qu’en 2005, l’Association patriotique et la Conférence des évêques « officiels » avaient envoyé, au lendemain de l’élection, des messages de félicitations au Saint-Siège. Cette fois-ci, de pareils messages n’ont pas – encore – été envoyés, ce retard trouvant peut-être sa source dans la condamnation que le pape Benoît XVI avait exprimée à l’endroit de l’Association patriotique dans sa Lettre aux catholiques chinois de 2007.

Au-delà de ces déclarations au caractère très formel, un point de comparaison intéressant concerne la composition des délégations officielles que les gouvernements enverront à Rome pour assister à la messe d’installation du nouveau pape. Le 8 avril 2005, jour où furent célébrées les obsèques du pape Jean Paul II, les délégations avaient afflué du monde entier. Parmi les chefs d’Etat présents place Saint-Pierre figurait le président taiwanais Chen Shui-bian. Même si celui-ci n’avait passé que huit heures à Rome et au Vatican et n’avait eu aucun entretien avec un responsable du Saint-Siège, le seul fait d’être le premier président taiwanais à se rendre au Vatican et d’être vu parmi les principaux dirigeants de la planète avait constitué, pour Taiwan, une victoire. La presse taiwanaise avait d’ailleurs salué « le caractère historique » et « le beau succès diplomatique », tandis que Pékin fustigeait « une action visant à créer deux Chine ou une Chine et un Taiwan, ce à quoi le gouvernement chinois s’est toujours refusé ». Pour la Chine populaire, à l’évidence, la présence du président Chen place Saint-Pierre avait représenté un revers.

Cette fois-ci, du fait de la renonciation de Benoît XVI, il n’y aura pas de messe de funérailles à Rome mais seulement une messe d’intronisation du nouveau pape. Celle-ci a été fixée au 19 mars, solennité de la Saint Joseph. La question se pose du niveau de la délégation que Taiwan enverra à Rome à cette occasion. Dès après l’élection du pape François, le président taiwanais, Ma Ying-jeou, son ministre des Affaires étrangères, David Lin, et son ambassadeur près le Saint-Siège, Larry Wang, ont envoyé des messages de félicitations au Saint-Siège. Aujourd’hui jeudi 14 mars, David Lin a précisé que « les détails concernant la composition de la délégation [de Taiwan à la messe d’intronisation] étaient en cours de finalisation ».

Selon les observateurs, la présence du président Ma à Rome le 19 mars représenterait une surprise. En effet, autant le président Chen, membre du camp des indépendantistes, était prêt à saisir toute occasion lui permettant d’asseoir le statut international de son pays, autant le président Ma, membre du Kouomintang, a entamé, depuis son arrivée au pouvoir en 2008, une politique de rapprochement avec Pékin et il se gardera donc sans doute de tout geste pouvant provoquer la colère de Pékin.

Pour autant, le Saint-Siège figure au petit nombre des Etats avec lequel Taiwan entretient des relations diplomatiques et Taipei ne peut se permettre de négliger ces relations. Dans les milieux proches de la diplomatie taiwanaise, on se refuse aujourd’hui à tout commentaire, mais le plus probable est que le ministre de l’Intérieur, dont le portefeuille comprend les Affaires religieuses, ou le ministre des Affaires étrangères soit dépêché à Rome le 19 mars.

Au cas où Taipei choisisse, afin de ne pas froisser Pékin, d’envoyer une délégation au rang des seuls vice-ministres, c’est le Saint-Siège qui pourrait s’offenser. Toutefois, comme le notent les analystes, le dossier des relations sino-vaticanes figure en bonne place parmi les priorités du Saint-Siège et Rome sait faire preuve de souplesse en la matière. Ainsi, nul, dans l’Eglise, ne s’est offusqué lorsqu’en octobre dernier, à l’occasion de la messe célébrée en la cathédrale de Taipei pour le soixante-dixième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la République de Chine (1942-2012), le gouvernement du président Ma avait seulement délégué deux vice-ministres à la cérémonie. Pareillement, le 14 janvier dernier, un colloque international consacré à ce soixante-dixième anniversaire devait avoir lieu à l’université catholique Fujen, à Taipei ; son annulation à la dernière minute n’a pas soulevé de protestations.