Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Quelles relations entre les Eglises et l’Etat en Chine populaire ?

Publié le 12/03/2014




Dans le système impérial chinois, l’empereur était considéré comme le « fils du Ciel », impliquant par là que les liens que pouvaient entretenir ses sujets avec les réalités d’en-haut étaient nécessairement médiatisés par sa personne et que, par extension, les religions n’avaient pas …

d’existence propre en Chine sauf à entretenir un lien avec l’empereur et le système impérial. Loin d’abattre cette architecture (政主教从zhengzhu, jiaocong, ‘Le gouvernement est le maître et la religion le serviteur’), les dirigeants communistes ont fait leur ce système, en mettant en place un enregistrement des religions officiellement reconnues, en-dehors duquel toute activité religieuse est considérée comme subversive. Aujourd’hui, du fait de l’approfondissement des réformes et de l’ouverture de la société chinoise sur l’extérieur, le cadre institutionnel en place craque de toutes parts et l’Etat-Parti chinois a conscience de la nécessité de réviser sa politique religieuse.

Zhuo Xinping dirige l’Institut des religions du monde, instance rattachée à l’influente Académie chinoise des sciences sociales. Expert reconnu des questions religieuses, il siège également à l’Assemblée nationale populaire. Spécialiste du christianisme, il est une voix influente à même de conseiller le pouvoir en place. Dans le présent article, il explique que ni l’intégration de la religion dans l’Etat ni la stricte séparation de la religion et de l’Etat ne sont envisageables en Chine, mais que le seul système historiquement éprouvé et politiquement souhaité est celui qui voit le pouvoir politique exercer une certaine subordination sur le pouvoir religieux. Toute la question est de définir la nature de cette subordination et le degré de celle-ci. Il estime encore le moment présent particulièrement propice à une discussion « ouverte et tolérante » sur ce problème, et tient pour « réaliste » la probabilité que le gouvernement finisse par accorder plus de liberté aux religions, sans pour autant abandonner le cadre qui lui permet d’exercer son contrôle sur la société.

Le Professeur Zhuo Xinping a donné la conférence ci-dessous lors de la XIIIème Académie annuelle du China-Zentrum, à Sankt Augustin (Allemagne) le 11 avril 2013. L’Académie annuelle du China-Zentrum marquait en même temps le jubilé des vingt-cinq ans de ce centre de recherches sur la Chine lié à la société missionnaire catholique du Verbe divin (SVD). Le texte original en allemand a été publié sous le titre « Die Beziehung zwischen Religion un Staat in der Volksrepublik China » dans China heute 2013, n° 3, pp. 165-170. La présente traduction en français a été réalisée à partir de la traduction anglaise de Jacqueline Mulberge : Zhuo Xinping « Relationship between Religion and State in the People’s Republic of China », Religions & Christianity in Today’s China, Vol. IV, 2014, No. 1, pp. 16-24.
 

 

La société chinoise se trouve aujourd’hui plongée au cœur d’un processus d’ouverture introduisant un changement majeur dans les relations que la Chine entretient avec le reste du monde. Cette ouverture met les Chinois face à une tension entre le monde contemporain occidental et la préservation de leurs propres traditions. Cette tension peut être notamment ressentie dans la sphère de la religion. Aujourd’hui se développent en République populaire à la fois une grande variété de religions et une importante diversité d’opinions au sujet de la religion. Même si la religion est perçue dans la Chine contemporaine d’un point de vue mondial et qu’elle est perçue positivement plus souvent que par le passé, l’attention principale est toujours centrée sur sa relation avec l’Etat. Les Chinois prêtent une grande attention à la relation entre religions et Etat dans le monde contemporain, notamment dans les Etats occidentaux, et discutent des différentes formes que cette relation peut prendre, telle l’intégration ou bien la séparation. Concernant ces différentes formes, la République populaire de Chine (RPC) insiste : le principe qui la gouverne est celui de la séparation des Eglises et de l’Etat. La religion est une affaire privée et il n’existe aucune religion d’Etat. La chose n’est cependant pas aussi simple. Si l’on regarde la forme actuelle de cette relation, on réalise qu’au regard des standards occidentaux, la religion en Chine n’est pas une affaire privée et qu’il existe quelque chose de semblable à une religion d’Etat. La théorie occidentale de la relation entre religion et Etat n’explique donc pas de manière adéquate l’état actuel des choses. On ne peut pas comprendre la véritable relation entre la religion et l’Etat en Chine par les moyens de la théorie occidentale, sauf à s’enfermer dans une impasse.

Pour expliciter la réalité de cette relation en Chine, il est nécessaire de prendre en compte les discussions des Chinois sur la religion, sur la foi, sur la politique et sur leurs propres caractéristiques. Avec l’ouverture de la Chine au monde extérieur, il est maintenant possible aussi de faire des comparaisons et de poser de nouvelles questions. La résurgence rapide des religions aujourd’hui en Chine reflète les interactions entre un monde globalisé et les réformes qui y sont en cours. Sous l’influence de la mondialisation, les religions y sont devenues plus ouvertes et plus transparentes. Mais cette évolution a, dans le même temps, mis en avant des questions concernant le concept et la place de la religion dans la société chinoise. Dans ce processus, les tentatives ne manquent pas pour interpréter de nouveau la relation entre religion et Etat, ou entre les religions et l’Etat.

Selon mon analyse, la relation complexe entre religion et Etat en Chine peut être examinée sous quatre aspects, quatre relations : politique et religion, droit et religion, société et religion et culture et religion. Ces quatre aspects ne sont pas statiques mais interagissent. La relation entre politique et religion cependant est la plus importante. Quel rôle la religion devrait-elle ou pourrait-elle jouer en RPC ? La religion en Chine peut-elle être acceptée comme un phénomène populaire normal ? Existe-t-il une possibilité pour la politique d’être liée à la religion ? Ces questions sont encore controversées aujourd’hui. Bien entendu, tous ces problèmes peuvent être abordés de nos jours – ce qui témoigne d’une atmosphère ouverte et tolérante en ce qui concerne ces questions dans la société chinoise.

Notre propos vise à montrer qu’il y a en réalité une norme totalement différente sous-tendant la relation entre religion et Etat en RPC qui ne peut pas être expliquée par la théorie théologico-politique occidentale mais qui devient compréhensible et acceptable si l’on considère l’arrière-plan de la tradition chinoise. Cette relation reflète la continuité de la vieille tradition chinoise mais est aussi influencée par les développements actuels dans un contexte globalisé. Cette situation rend possible et permet d’espérer un changement et une amélioration dans un futur proche. Pour correctement appréhender la relation entre religion et Etat en RPC, nous devons donc d’abord examiner cette tradition en Chine et ensuite tourner notre attention sur ses développements et les changements qui se produisent actuellement.

Le système de l’Etat unitaire et les religions chinoises

Le principe de l’Etat unitaire en tant que croyance culturelle a toujours cours et est soutenu par le peuple chinois de la Chine contemporaine. Même s’il y a des changements sur la scène internationale et que la Chine subit l’influence de systèmes politiques tels que le fédéralisme et la séparation des pouvoirs, l’unité de l’Etat et la concentration des pouvoirs politiques demeurent la structure de base de la société chinoise. En comparaison avec les sociétés occidentales, il semble qu’en cela le gouvernement chinois soit plus efficace pour organiser la société. Alors que les nations occidentales, par exemple, affrontent encore aujourd’hui la crise économique, grâce à cette structure la Chine continue à se développer rapidement. Le système de l’Etat unitaire se traduit aussi dans une idéologie unifiée. L’unité de l’Etat est intimement liée à l’unité de pensée. L’ordre et la stabilité sociale sont à cet égard primordiaux ; ou dit autrement, ils sont la condition préalable pour le développement social et doivent être par conséquent assurés.

Dans ce contexte, de nombreuses réflexions ont émergé concernant la signification et la fonction de la religion dans la société. La religion n’est en aucune manière une réalité mineure. Ceci est valable pour toutes les religions chinoises. Elles ont leurs propres positions dans la structure sociale et doivent par conséquent jouer leur rôle politique, sociétal, culturel et conceptuel. Dans l’histoire de la Chine, il n’y a jamais eu ni une intégration de l’Etat et de la religion dans laquelle la religion jouerait un rôle de guide, ni une soi-disant séparation de l’Etat et de la religion. La seule relation entre Etat et religion qui ait toujours existé en Chine a été celle de la primauté de l’Etat et la subordination de la religion. Cela n’a jamais été l’inverse. La religion doit être une aide pour l’Etat. C’est là le secret de l’harmonie entre l’Etat et la religion. La structure religieuse est subordonnée à celle de l’Etat. En réalité même, elles ne forment pas deux structures mais une seule. La structure religieuse est une partie de la structure de l’Etat. Patriotisme et liberté religieuse doivent être compris à l’intérieur de cette structure. La loyauté envers l’Etat venait et vient toujours en première place, ensuite seulement vient la loyauté envers une religion spécifique. Les organisations religieuses étaient – et sont encore aujourd’hui en la matière – sous le contrôle de l’Etat et de nombreux responsables religieux étaient et sont en même temps des représentants de l’Etat. Le chef de l’Etat cependant a toujours été un souverain séculier, qu’il soit empereur ou roi ; il n’a jamais été le prêtre d’une religion.

Le contrôle étatique de la religion était et est encore exercé aujourd’hui par les autorités de supervisions compétentes dans l’administration d’Etat, comme par exemple le Fanfang 番坊 (Bureau pour l’administration des étrangers) sous la dynastie Tang, le Xuanzhengyuan 宣政院 (Bureau pour le bouddhisme), le Jixianyuan 集贤院 (Bureau pour le taoïsme), le Chongfusi 崇福司 (Département pour le christianisme) et le Huihuihadisi 回回哈的司 (Département pour l’islam) sous la dynastie Yuan ; le Libu 礼部 (Ministère des rites pour le bouddhisme et le taoïsme) et le Siyiguan 四夷馆 (Office gouvernemental pour les religions minoritaires) sous la dynastie Ming ; le Lifanyuan 理藩院 (Office gouvernemental pour les religions minoritaires) sous la dynastie Qing ; le Meng-Zang weiyuanhui 蒙藏委员会 (Commission pour les affaires mongoles et tibétaines) sous la République de Chine et le Zongjiaoju 宗教局 (Bureau des affaires religieuses) sous le pouvoir communiste. Au vu de ce patrimoine administratif, on comprend aisément pourquoi, quand le Vatican parle de liberté de religion concernant la nomination des évêques dans l’Eglise catholique de Chine, le gouvernement chinois lui défend la nomination des évêques comme un droit souverain de l’Etat.


Le marxisme et l’influence du confucianisme

Au cours des cent dernières années, le marxisme a supplanté le confucianisme dans la société chinoise. A ce jour, le marxisme demeure le principe idéologique de la Chine. Ce rôle prépondérant du marxisme signifie que le confucianisme n’est plus la théorie politique ou culturelle dominante pour le peuple chinois. Cela d’autant plus qu’il leur est indifférent de savoir si le confucianisme est une religion ou pas. Des portraits de Marx et Engels par exemple ont été exposés pendant plus de soixante ans place Tiananmen, à Pékin, sans causer aucun problème, mais une statue de Confucius en face du Musée d’Histoire de la Chine dans le voisinage immédiat de la place Tiananmen a été retirée après seulement cent jours en raison d’importantes protestations.

Dans leur analyse de la religion, les communistes chinois sont toujours très allemands et parlent volontiers de l’interprétation marxiste de la religion en Europe. Citer cependant le jugement de Marx sur la religion comme « opium du peuple » n’est pas bien vu dans le contexte chinois. Pour cette raison, dans les années 1980, il y a eu comme une « guerre de l’opium » en Chine concernant le jugement à porter sur la religion. Marx, lui, parlait principalement de la religion en Europe au XIXème siècle. Le phénomène religieux dans la Chine contemporaine ne peut pas pour cette raison s’interpréter à cette à cette aune.

De nos jours, lorsqu’on parle de l’identité chinoise, on en vient très souvent au problème de l’occidentalisation par le marxisme. Si, dans la réforme et l’ouverture actuelles cependant, le Parti communiste chinois (PCC) souhaite assurer qu’il représente la culture chinoise, il doit retourner à la tradition chinoise. Cette évolution donne au confucianisme une confortable opportunité de renaissance. Dans la discussion concernant la nécessité d’une théorie politique pour le développement de la Chine, l’attention s’est aujourd’hui portée sur la possibilité d’un dialogue entre le marxisme et le confucianisme. Contrairement au confucianisme, le marxisme en effet ne trouve pas son origine dans la culture chinoise – ce qui constitue un désavantage fondamental pour l’amour-propre chinois.

Afin de demeurer l’idéologie dominante en Chine, le PCC parle maintenant de « sinisation du marxisme ». Le marxisme, cependant, est fondamentalement conçu pour la lutte des classes, il est donc par nature une « philosophie du combat ». Cela induit des difficultés spécifiques. D’après la théorie marxiste, la religion est un reflet de la société. L’évaluation négative de la religion par Marx trouvait son origine dans son évaluation, elle-même négative, de la société de son temps. Sa critique de la religion est par nature une critique de la société. Aujourd’hui, si les Chinois critiquent leur religion et en même temps évaluent positivement leur société, c’est en termes marxistes une contradiction. Et nous ne devrions pas oublier non plus que quand Marx critiquait la religion et appelait à la lutte des classes, le parti communiste représentait l’opposition au pouvoir de l’Etat et du gouvernement. Le PCC cependant est devenu à son tour un parti de gouvernement. Cette contradiction soulevée par la critique idéologique de la religion en Chine n’a toujours pas été résolue. Par conséquent, il n’y a pas d’autre issue : les Chinois doivent interpréter la relation entre la religion et la société d’une manière nouvelle. Dans le processus, ils maintiennent le principe et la méthode de l’analyse marxiste de la religion et sa relation à la société : si une société est bonne, logiquement sa religion doit être bonne aussi.

La tendance principale en Chine aujourd’hui est celle du développement d’une société harmonieuse. L’élaboration d’une culture harmonieuse est par conséquent nécessaire et l’espace pour la lutte des classes se trouvent dès lors contraint. La transformation à partir du marxisme, classique en Europe, vers une culture harmonieuse devient graduellement visible en Chine. Pour conserver néanmoins la sacralité du marxisme et du communisme, on observe d’une part une volonté de « sinisation du marxisme » et d’autre part une insistance sur une « théorie socialiste avec des caractéristiques chinoises ». Le but reste l’élaboration d’une société harmonieuse en Chine. Par conséquent, si une « philosophie de l’harmonie » forme l’âme de la société, c’est après tout équivalent à un retour du confucianisme, lequel poursuit essentiellement de l’harmonie. Bien que le PCC et le gouvernement chinois s’accrochent toujours au marxisme, parmi le peuple on assiste à une impressionnante renaissance du confucianisme. Où allons-nous ? La Chine est aujourd’hui à un carrefour. Peut-être la meilleure solution est-elle une union possible et idéale du marxisme avec le confucianisme. Cela pourrait devenir la meilleure harmonie possible pour la Chine. Les deux, cependant, doivent opérer leur autocritique pour être capable de proposer quelque chose de nouveau.

Conscience culturelle et religion

La conscience culturelle du peuple chinois reprend vie lentement aujourd’hui. Cela conduit inévitablement à une tension entre la poursuite du marxisme et la promotion d’un nationalisme culturel. Pour échapper à ce dilemme, la Chine cherche d’une part à mettre en avant de nouvelles recherches sur le marxisme. Elle soutient notamment l’ambitieux projet d’une nouvelle traduction des œuvres complètes de Marx et Engels de l’allemand au chinois. D’autre part, la Chine entend promouvoir les Guoxue (国学, études chinoises) et établir plus d’une centaine d’Instituts Confucius à travers le monde. Ces deux actions n’ont cependant pas la même signification.

Alors que la recherche marxiste a été approuvée comme un sujet académique de première classe, la proposition faite et soutenue par quelques présidents d’université et par quelques professeurs réputés de reconnaître les Guoxue comme un sujet académique de première classe a été rejetée et même qualifiée de « conservatisme culturel ». Néanmoins, les Guoxue ont une influence très sensible sur la société chinoise, ils représentent en effet la conscience culturelle du peuple chinois. En ce qui concerne leur contenu, les Guoxue couvrent essentiellement des recherches sur le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, en d’autres termes sur les plus typiques et les plus traditionnelles des religions chinoises.

Tous les Chinois sont naturellement bien conscients de la signification culturelle de ces trois traditions mais leur signification religieuse est dans une grande mesure méconnue. Le confucianisme en particulier n’est pas encore considéré par les Chinois de nos jours comme une religion. Si le confucianisme était accepté comme une religion en Chine, nous aurions à décrire le peuple chinois comme très religieux. D’un point de vue historique, l’acceptation du marxisme et le rejet du confucianisme se sont produits presque simultanément au début du XXème siècle à travers le « Nouveau Mouvement culturel ». Avec la disparition du système féodal, le confucianisme a perdu son statut de principe idéologique de la Chine et n’a plus été considéré comme une religion. Plusieurs grands intellectuels de cette époque, comme Liang Qichao, Cai Yuanpei et Liang Shuming, avaient accepté la proposition de Matteo Ricci, à savoir que le confucianisme n’est pas une religion, ils ont même maintenu que la Chine n’avait pas de religion en soi. Depuis lors, de nombreux Chinois ne connaissent plus leur identité et ont des problèmes importants avec leur propre conscience culturelle. En ce sens, la restauration du confucianisme est porteuse de sens.

Structure politique et religion

La structure politique en RPC comprend plus ou moins les quatre niveaux suivants : le Parti communiste chinois (PCC) comme unique parti de gouvernement, le gouvernement, l’Assemblée nationale populaire et la Conférence politique consultative du peuple chinois. On peut observer la relation compliquée entre structure politique et religion à ces quatre niveaux.

Premièrement, les documents du PCC et la discipline du parti requièrent que ses membres soient athées et ne croient en aucune religion. Il est cependant difficile de mettre cela en place dans la réalité. Théoriquement, le marxisme classique ne requérait pas cette position. Marx lui-même était chrétien au début de sa vie. Lénine a clairement montré que le parti communiste pouvait admettre des croyants et même des prêtres dans ses rangs. Ces croyants peuvent toujours continuer à croire tout en étant dans le parti, à la condition qu’ils ne contreviennent pas au programme du parti. Si le parti peut admettre et garder de tels croyants, cela signifie après tout que ses membres sont autorisés à être croyants. Dans le monde actuel, le parti communiste de Cuba autorise ses membres à adhérer au catholicisme. Le parti communiste au Vietnam autorise aussi ses membres à adhérer à une de leurs religions nationales traditionnelles. Dans le passé en Chine aussi, plusieurs dirigeants religieux devinrent membres du PCC grâce à la théorie et à la pratique du « Front Uni » (Alliance momentanée dans les années 1920 puis dans les années 1930, du Kuoomintang et du PCC. Aujourd’hui, instance qui réunit les instances de la société civile qui ne sont pas directement le PCC. NdT). Ce secret s’est d’ailleurs vite ébruité. Dans les régions où vivent des minorités, comme celles du Tibet ou du Xinjiang, il est très difficile pour les membres du Parti de ne pas adhérer à leur religion, parce que la religion n’est pas là-bas simplement un « opium du peuple » mais en réalité la « vie du peuple ». Ce problème suscite des débats animés aujourd’hui. De mon point de vue, les croyances politiques et les croyances religieuses devraient être vues séparément parce qu’elles sont de types différents. On peut maintenir les deux croyances en même temps parce qu’elles ne sont pas nécessairement en contradiction ou en opposition l’une vis-à-vis de l’autre.

Deuxièmement, le gouvernement a la tâche directe de prendre les affaires religieuses sous son administration. Pour cela, il existe des divisions du Bureau des Affaires religieuses à des niveaux variés à travers l’ensemble de la Chine. De manière intéressante, l’administration politique et religieuse est parfois combinée. De nombreux officiels gouvernementaux responsables des affaires religieuses sont devenus finalement des responsables religieux, vice-président ou secrétaire général d’associations religieuses par exemple. Ils sont membres du Parti et maintenant aussi croyants. Ceci encore n’est pas un secret et est devenu assez normal. On constate ici, cependant, une contradiction entre la théorie et la praxis de la politique religieuse.

Troisièmement, nous découvrons des représentants des religions aussi au sein de l’Assemblée natinoale du peuple. Le cas de Mgr Fu Tieshan, évêque du diocèse catholique de Pékin peut être ici mentionné. Cet évêque a en effet exercé la fonction de vice-président de l’Assemblée nationale du peuple, ce qui faisait de lui une personnalité d’Etat importante issue des cercles religieux. Autre exemple, un « Bouddha vivant » est en ce moment vice-directeur du Comité pour les nationalités de l’Assemblée nationale populaire.

Quatrièmement, nombreux sont les représentants des cercles religieux à siéger au sein de la Conférence politique consultative du peuple chinois. On y trouve notamment les dirigeants des différentes associations religieuses dans son Comité pour les affaires ethniques et religieuses. Le directeur du Comité est un ancien vice-ministre pour le Travail du Front Uni dans le Parti et presque tous les vice-directeurs sont des personnalités dirigeantes des religions chinoises. Zhao Puchu, un bouddhiste, et Mgr Ting (Ding Guangxun), de l’Eglise protestante en Chine, étaient même vice-président de la Conférence politique consultative. Là encore donc, les personnalités dirigeantes de l’Etat sont issues des cercles religieux.

Dans cette structure politique, on constate donc une participation claire de la religion. De la même manière, on retrouve aussi une participation du Parti et du gouvernement dans les organisations religieuses. Comme le PCC maintient qu’il est un parti athée, la relation entre la religion et l’Etat en RPC n’est ni une intégration ni une séparation. Cette relation en Chine ne peut pas être expliquée par la théorie occidentale de la religion et de l’Etat.

Mondialisation et religions mondiales

A l’ère de la mondialisation, la Chine ne peut plus éviter l’influence étrangère qui s’exerce à travers la religion. Il en résulte des tensions politiques entre les activités complexes des religions mondiales et le principe de base de l’administration des affaires religieuses en Chine. Mais, dans une société ouverte, à l’âge de l’information, il est difficile d’administrer et de contrôler les religions en Chine sans influence extérieure. D’une part, la Chine essaye de rejeter et de critiquer une telle influence la qualifiant d’« ingérence étrangère dans les affaires internes de la Chine » visant à mettre en difficulté l’indépendance et l’autonomie des religions y existant. D’autre part, la Chine se doit de participer à la communauté internationale et de s’engager dans un dialogue sur la liberté religieuse et les droits de l’homme avec les autres nations. Pour le pays, il est nécessaire d’avoir davantage de coopération internationale et de jouer un rôle plus important dans le monde. Dans le même temps, la Chine montre une vigilance accrue face au risque qu’elle perçoit dans ce qu’on appelle « les révolutions de couleur ».

Aujourd’hui, cinq religions principales sont reconnues par le gouvernement chinois : le bouddhisme, le taoïsme, l’islam, le protestantisme et le catholicisme. Parmi celles-ci, seul le taoïsme est une religion proprement indigène. Les quatre autres religions ont leurs origines hors de Chine et sont des religions mondiales ou multinationales. Il est clair que les fidèles de ces quatre religions puisent leur identité religieuse au-delà des frontières de la Chine et insistent sur la dimension internationale de leur religion. C’est un défi majeur pour le gouvernement chinois. Les fidèles de ces religions sont attachés à deux loyautés. Quand un conflit d’intérêt émerge entre leurs autorités religieuses et le gouvernement chinois comme par exemple entre le Vatican et la Chine, il est très difficile pour eux de faire un choix. S’ils restent loyaux au gouvernement, leur religion les critiquera et peut même les excommunier. Mais s’ils restent fidèles à leur religion, ils deviennent hors-la-loi et ne peuvent exister qu’en cachette. C’est par exemple, le cœur du problème de l’Eglise catholique dite « patriotique » et l’Eglise « souterraine ». En arrière-plan, la relation entre la religion et l’Etat en Chine est aussi influencée par les relations internationales entre cette religion et l’Etat. Une solution définitive à ce problème requiert une collaboration internationale active, un dialogue constructif, une compréhension mutuelle, des compromis et certainement une réconciliation.

La société civile et l’existence multiple des religions

En réalité, la vie religieuse en RPC n’est plus à présent limitée à ces cinq religions. Le panorama des religions en Chine aujourd’hui en inclut davantage : l’Eglise orthodoxe dans le nord-est, la Mongolie intérieure et le Xinjiang, la religion Sanyi (association du confucianisme, du bouddhisme et du taoïsme) et le culte Mazu (déesse des pécheurs) dans le Fujian sont officiellement reconnues par exemple. D’autres religions qui ne jouissent pas d’une reconnaissance légale dans la société existent aussi dans un certain sens. Ce phénomène est en particulier très typique des nouvelles religions et des religions populaires. Par exemple, l’existence de la foi Bahai, du judaïsme et de mormons en Chine n’est plus secrète depuis longtemps. Les religions populaires en Chine sont vues comme des croyances folkloriques, elles sont regardées avec sympathie et tolérées au titre de la préservation de la culture chinoise traditionnelle. Très souvent, des organisations académiques ou non gouvernementales collaborent avec la Yiguandao (normalement sous le titre de « Société pour la moralité confucéenne et mencienne ») (de Mencius, penseur chinois du IVème siècle avant J.-C., continuateur de l’œuvre et de la pensée de Confucius, NdT), la Dejiao (Religion de la vertu) et la Tiandijiao (Religion de l’empereur du Ciel). Pour illustrer ces relations, on utilise souvent la phrase « li shi qiu zhu ye » 礼失求诸野 (‘Quand le rituel a été perdu par l’autorité, on peut toujours le trouver parmi le peuple’). Plusieurs religions traditionnelles chinoises ont en effet été conservées parmi le peuple sous les formes diverses de la religion populaire.

Dans la société civile, l’existence et les manifestations des religions sont sujettes à certains changements et certaines aliénations qui ont encore davantage complexifié la relation entre l’Etat et la religion. Quelques croyants illégaux, membres des « Eglises domestiques » (terme qui regroupe les communautés non affiliées au Mouvement des trois autonomies, l’organisation officielle chapeautant les communautés protestantes en Chine. NdT) par exemple, ont cherché aussi des alternatives et se sont fortement politisés. Ils sollicitent « une attention et une intervention internationale » pour la liberté religieuse et les droits de l’homme. Leurs organisations sont devenues essentiellement politiques. Rechercher l’harmonie ne signifie donc pas encore dans les faits être véritablement harmonieux. A cause de ce genre de considérations politiques, la religion en Chine n’est en aucune manière « une matière mineure ».

Au cours du développement économique du pays, la religion était considérée et utilisée par certaines personnes comme une entreprise économique. Certains pratiquants mais aussi des prêtres ont pratiqué la corruption. Il existe de nombreux rapports concernant la mise en bourse ou le management contractuel de certains temples ou monastères à des fins commerciales. Tout cela était principalement soutenu ou organisé par les gouvernements locaux. La formule était la suivante : « La religion établit la scène sur laquelle l’économie chante son opéra. » Quelques moines sont secrètement ou ouvertement mariés et ont même des enfants. Si le gouvernement les punit, ils protestent et déplorent « cette séparation et cette dispersion des membres de leurs familles ». Des croyants travaillent dans les cercles religieux afin de devenir fonctionnaires. Pour le Nouvel An, dans certains temples, les premiers bâtons d’encens et les carillons sont vendus à des prix très élevés. De telles actions sont critiquées et qualifiées de « culte au dieu de la richesse (Mammon) ». Un danger important pour les religions en Chine est aujourd’hui la sécularisation. Le gouvernement envisage déjà de nouvelles régulations contre la corruption et l’aliénation dans la religion.

Certains fidèles des religions nées à l’étranger résistent à l’idée d’une idéologie unifiée en Chine. Ils considèrent le retour à la culture traditionnelle comme un conservatisme voilé et une menace d’isolement. Ils tiennent l’ouverture et la liberté de toutes les religions comme une tendance inexorable de notre temps. Ils émettent aussi des réservent concernant l’inculturation et la sinisation de leur religion. Pour eux, la religion devrait être universelle et plurielle. Ils estiment que les associations religieuses chinoises centrales sont des organisations quasi-gouvernementales. Ce que le gouvernement veut en réalité à face à cette tendance pluraliste, c’est l’adaptation des religions à la société socialiste chinoise. Il a besoin d’une force centripète et non centrifuge. Il souhaiterait diriger toutes les religions en Chine dans cette direction. Et ce qu’il doit absolument éviter, c’est notamment une « victoire [graduelle] de l’Agneau de Dieu sur le dragon chinois » sous l’influence occidentale, comme David Aikman l’a exprimé. Ce discours génère de fortes appréhensions en ce qui concerne le christianisme. Par conséquent, l’inculturation et la sinisation sont fortement promues en Chine.

Implications

La relation entre la religion et l’Etat en RPC s’avère compliquée et diffère grandement des relations équivalentes dans les nations occidentales. Pour ses développements à venir, il existe à mon avis trois possibilités.

La première possibilité est plutôt pessimiste. Dans cette hypothèse, le gouvernement maintiendrait une critique catégorique de la religion et poursuivrait une politique religieuse limitée. Dans une telle impasse, il ne sera pas facile de trouver une issue, les religions étant établies depuis des siècles et profondément enracinées dans le peuple chinois. Il serait néanmoins facile de maintenir cette attitude traditionnelle envers la religion. Un changement dans cette attitude cependant entraînerait une révolution dans la manière de pensée.

La deuxième possibilité est plutôt optimiste. Dans ce cas, le gouvernement donnerait à toutes les religions leur liberté et chercherait à garantir une séparation réelle d’avec l’Etat. Si la Chine approfondit sa collaboration et le consensus avec la communauté internationale et si le monde s’engage envers une connexion harmonieuse avec la Chine, cela sera possible sans aucun doute. La Chine cherche actuellement à construire une société harmonieuse et souhaite aussi qu’un monde harmonieux se réalise dans le futur. Tâchons de faire des efforts toujours plus grands dans cette direction.

La troisième possibilité est plutôt réaliste. Dans ce cas, le gouvernement donnerait à la religion plus de liberté et maintiendrait l’existence des religions dans le schéma actuel. Les cinq religions principales seraient considérées comme des religions d’Etat et leur signification présente serait aussi maintenue. Cela laisserait certainement de nouveaux champs pour des réformes et des améliorations aux plans politique et théorique. Dans cette hypothèse, nous aurons à produire de nouvelles idées et à former des opportunités favorables.

Dans quelle direction ira donc la Chine ? Les cinq à dix années qui viennent seront décisives.