Eglises d'Asie – Chine
Décès à 96 ans de Mgr Joseph Fan Zhongliang, évêque « clandestin » de Shanghai
Publié le 17/03/2014
… Les autorités chinoises lui refusaient en effet son titre d’évêque de Shanghai et lui interdisaient de diriger la communauté catholique « clandestine » locale.
Selon les informations de la Fondation du cardinal Kung, sise aux Etats-Unis, dès après la mort de Mgr Fan, un prêtre de la communauté « clandestine » de Shanghai a célébré une messe pour le repos de son âme au sein même de l’appartement où résidait le vieil évêque. Mais ce domicile étant placée sous la vidéosurveillance constante de la police, des officiels de la municipalité de Shanghai ont pénétré peu après dans l’appartement. Tout en retirant la calotte épiscopale placée sur le sommet de la tête de Mgr Fan – geste destiné à signifier leur refus de reconnaître à Mgr Fan sa qualité d’évêque de l’Eglise catholique –, ils ont ordonné le transfert de son corps vers une maison funéraire de la ville.
Selon l’agence Ucanews, ces mêmes autorités ont dans un premier temps annoncé que les fidèles catholiques n’auraient que deux jours pour venir se recueillir devant la dépouille de Mgr Fan, avant la célébration des obsèques et l’incinération de son cercueil. Il semble toutefois que ce délai a été rallongé. « Ils ont reconsidéré leur décision initiale après que l’administrateur « clandestin » du diocèse a émis une protestation et menacé de refuser de célébrer la messe de funérailles, en leur disant qu’ils auraient seuls à assumer la colère des fidèles », rapporte la source citée par l’agence catholique. Selon les informations recueillies par Eglises d’Asie, les obsèques seront célébrées ce samedi 22 mars, mais la demande de voir les funérailles se dérouler à l’église Saint-Ignace, cathédrale du diocèse, a été rejetée par les autorités ; celles-ci n’ont autorisé que la tenue d’un service religieux dans la cour de la maison funéraire où a été transportée la dépouille de Mgr Fan.
La tension qui entoure l’organisation des funérailles de feu Mgr Fan témoigne de la complexité de l’Eglise catholique en Chine et illustre le paradoxe particulier du diocèse de Shanghai : en juillet 2012, après l’ordination de Mgr Ma Daqin, Shanghai comptait quatre évêques catholiques ; aujourd’hui, après la mort de Mgr Fan, le diocèse n’en compte plus aucun à même de le diriger. Mgr Fan Zhongliang, l’ordinaire ou l’évêque en titre aux yeux de Rome, vient de décéder. Mgr Jin Luxian, qui était, dans l’ordre inscrit par le Saint-Siège, son évêque coadjuteur et qui, dans l’ordre voulu par Pékin, était l’évêque « officiel » de Shanghai, est mort le 27 avril dernier ; ses cendres ont été dispersées en mer. Mgr Xing Wenzhi, qui, en juin 2005, avait été ordonné évêque auxiliaire de Shanghai, en communion avec Rome et avec l’assentiment des autorités chinoises, a été poussé à la démission au début de l’année 2012, sans que les circonstances et les raisons de cette démission n’aient été pleinement éclaircies. Et enfin, Mgr Ma Daqin, ordonné en tant qu’évêque auxiliaire de Shanghai le 7 juillet 2012, avec là encore l’accord du pape et l’agrément de Pékin, est depuis cette date empêché d’exercer son épiscopat. Parce qu’il a annoncé lors de son ordination qu’il se tenait désormais à l’écart de l’Association patriotique des catholiques chinois pour se consacrer entièrement à son diocèse – geste de défiance sans précédent de la part d’un évêque « officiel » –, il a été immédiatement placé en résidence surveillée et frappé d’une interdiction d’exercer son épiscopat pour une durée de deux ans, sanction qui arrive théoriquement à échéance en juillet prochain.
Né en 1918, Mgr Fan Zhongliang a été baptisé dans la foi catholique à l’âge de 14 ans. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1938, il est ordonné prêtre en 1951, à une date où les communistes affermissent leur emprise sur la Chine. A Shanghai, la métropole orientale symbole pour les nouveaux maîtres du pays de la compromission avec les « impérialistes », la pression est particulièrement forte sur la communauté catholique, estimée à 120 000 membres et soupçonnée de vouloir saper la révolution. Le couperet s’abat dans la nuit du 8 au 9 septembre 1955 : plus de trois cents prêtres, religieuses et laïcs sont arrêtés. Mgr Ignatius Kung Pin-mei (Gong Pin-mei), l’évêque jésuite de Shanghai, est bien entendu du nombre, tout comme les PP. Jin Luxian et Fan Zhongliang.
Pour le P. Fan Zhongliang, la sentence est de vingt ans de prison pour « crimes contre-révolutionnaires », peine qui sera purgée dans un établissement pénitentiaire du Qinghai où la tâche qui est confiée au prêtre est de transporter les cadavres des prisonniers décédés jusqu’au cimetière où ils sont inhumés.
A sa libération, à l’issue de vingt ans de réclusion, le P. Fan ne recouvre pas une pleine liberté ; il est assigné dans un lycée de la province du Qinghai où il enseigne plusieurs années avant de recevoir l’autorisation de retourner à Shanghai.
Au début des années 1980, le diocèse de Shanghai a deux évêques, Mgr Kung Pin-mei, toujours incarcéré, et Aloysius Zhang Jiashu, jésuite lui aussi, âgé de 90 ans, qui a cédé sous la pression des communistes et qui a été consacré sans mandat pontifical en 1960. En janvier 1985, le P. Jin Luxian est ordonné sans mandat pontifical comme évêque auxiliaire « officiel » – et successeur potentiel – de Mgr Zhang. Pour ne pas laisser le champ libre à la partie « officielle » de l’Eglise, c’est au tour du P. Fan Zhongliang d’être ordonné évêque de Shanghai ; dans la clandestinité, l’ordination épiscopale lui est conférée le 27 février 1985 par un évêque du Qinghai.
Libéré de prison en 1986 mais affaibli par les années de détention, Mgr Kung Pin-mei part aux Etats-Unis en 1988, laissant bien malgré lui les deux parties de l’Eglise à Shanghai dans une situation de division. Après sa mort, en mars 2000, Mgr Fan devient l’évêque en titre de Shanghai, nomination jamais acceptée par Pékin mais confirmée par le pape Jean-Paul II – ce qui entraîne son placement en résidence surveillée, mesure qui ne sera plus jamais levée.
Selon Antony Lam Sui-ki, chercheur au Centre d’études du Saint-Esprit, à Hongkong, Mgr Fan sera resté toute sa vie durant « un homme d’Eglise ferme et persévérant ». En dépit du fait que Pékin et les autorités locales n’ont jamais reconnu son statut épiscopal, l’ensemble des catholiques de Shanghai lui a toujours témoigné un grand respect. Sitôt ordonnés, les jeunes prêtres, y compris du côté « officiel », ne manquaient pas de venir se faire bénir par lui.
(eda/ra)