Eglises d'Asie

Zhejiang : les autorités ont procédé à la destruction du temple protestant de Sanjiang

Publié le 29/04/2014




L’accord signé le 7 avril dernier entre les responsables de la communauté protestante de Sanjiang et les autorités locales n’aura pas suffi. Hier, 28 avril, et aujourd’hui, le temple de Sanjiang a été entièrement détruit, l’imposante structure étant mise à bas à l’aide d’explosifs et de pelleteuses. Des forces de police …

… ont été déployées sur le périmètre afin de disperser la foule des fidèles et plusieurs pasteurs ont été arrêtés.

Le bras-de-fer qui opposait aux autorités locales cette communauté protestante toute proche de la grande ville de Wenzhou, au Zhejiang durait depuis un peu plus d’un mois. Il était reproché aux protestants d’avoir édifié un lieu de culte outrepassant très largement le permis de construire initialement accordé, tandis que les responsables de la communauté chrétienne arguaient du fait qu’en l’état actuel du droit chinois, ils n’avaient pas d’autre choix que d’agir en enfreignant la législation en vigueur. Signe d’un possible règlement du conflit, l’accord signé le 7 avril dernier prévoyait le démantèlement d’une partie du bâtiment annexe, en cours de construction à l’arrière du temple, avec le 24 avril comme date butoir.

Selon les informations disponibles, la communauté protestante avait commencé à démanteler les étages supérieurs de ce bâtiment annexe quand une nouvelle demande des autorités leur a été signifiée. Elle concernait le démontage des croix surmontant les flèches de l’édifice religieux lui-même, croix jugées « trop grandes et trop visibles » par les autorités municipales.

C’est sur ce point du démontage des croix que la négociation s’est bloquée. La communauté protestante, déjà très mobilisée et occupant le temple 24 h sur 24 pour le protéger, a estimé qu’elle ne pouvait accepter de laisser porter atteinte aux croix, « symboles de sa foi chrétienne ». En réponse, les autorités ont arrêté certains des responsables de la communauté et mis en examen l’un de ses pasteurs pour « occupation illégale de terres agricoles ».

Les pressions ont commencé à se faire plus fortes. A Wenzhou, ville où les chrétiens représenteraient 15 % de la population et qui est connue pour le dynamisme économique de ses PME, les patrons chrétiens qui soutiennent le mouvement de résistance de la communauté de Sanjiang ont été menacés de voir leurs entreprises fermées au cas où ils persisteraient dans leur soutien.

« Au moins cinq responsables de l’église de Sanjiang et le Rév. Xu Kede, pasteur de la communauté voisine de Tengqiao, venu en soutien, ont été arrêtés » durant le week-end, rapporte une source protestante à l’agence Ucanews. Le 28 avril, les routes menant à l’église ont été bloquées par la police armée et des effectifs supplémentaires déployés sur tout le secteur pour empêcher la population de venir bloquer les bulldozers.

Toujours selon une source locale, des ordres auraient été donnés pour démolir ou abattre les croix surmontant quatorze autre lieux de culte chrétiens dans les environs de Wenzhou, et au moins une église catholique serait concernée. Certaines sources sur Internet font mention non seulement du démontage des croix mais aussi de la démolition complète des lieux de culte, comme cela a été fait à Sanjiang.

Du côté des autorités locales, la décision de détruire l’église de Sanjiang est défendue au nom du droit. Cité par le Global Times, édition anglophone du Quotidien du Peuple, les autorités de Yongjia affirment que le terrain sur lequel est édifié le temple protestant est classé en zone agricole et n’a pas vocation à être requalifié en zone urbaine. A propos de l’accord du 7 avril, ce responsable reconnaît son existence et le qualifie de « raisonnable » mais ajoute immédiatement qu’il était « malheureusement illégal ». Il dément aussi que l’action menée contre le temple de Sanjiang vise spécifiquement les chrétiens. « Près de quatre millions de m² de constructions illégales ont été détruits dans le district de Yongjia, dont des usines et des temples bouddhiques », précise-t-il, en ajoutant que les chrétiens sont « nombreux » dans le district et que les autorités accordent « beaucoup de respect à la liberté de religion ».

A ce point de l’affaire, il paraît difficile de tirer des conclusions définitives sur les motifs qui ont amené les autorités à détruire ce temple, vaste et flambant neuf. En septembre dernier, la municipalité de Yongjia avait même placé l’édifice au nombre de ses « projets-modèle ».

Localement, le district de Yongjia est depuis peu englobé dans une vaste opération d’urbanisme. La ville fait face à la dynamique cité de Wenzhou et n’est séparée de ses nombreux gratte-ciels que par le fleuve Oujiang. Or, un ambitieux projet de 20 milliards de yuans vise à « faire de Yongjia le Pudong de Wenzhou », en référence à la rive Est du fleuve Huangpu (Pudong) à Shanghai qui en 25 ans a vu rizières et hangars abandonnés se transformer en un nouveau Manhattan. Une autoroute surélevée flambant neuve se dresse déjà à 50 mètres de la colline où était édifiée l’église de Sanjiang.

Au niveau provincial, l’église de Sanjiang a sans doute également fait les frais d’une vaste campagne visant à « embellir le Zhejiang ». Intitulée « Trois révisions et une démolition », la campagne a été lancée en 2013 et devrait s’achever en 2015. Elle vise à « réviser » l’ensemble du territoire pour en éliminer toutes les structures illégalement construites. En 2013, les bâtiments religieux n’ont pas été concernés. Leur tour est venu en 2014 et, selon un responsable de Wenzhou du Mouvement pour les trois autonomies, « les églises qui ont reçu un ordre de démolition sont celles qui ont été édifiées dans l’illégalité. Certaines comportent des extensions illégales ; d’autres n’ont pas reçu de permis de construire en tant que lieu de culte. Pour régler le problème au plus vite, des municipalités ont ordonné aux responsables des églises bâties sans permis religieux de retirer les croix qui les surmontent, afin qu’elles restent discrètes dans le paysage ».

Mais, toujours selon ce responsable, le mouvement n’est pas dirigé contre les chrétiens. « Nous avons bien conscience que la croix est le symbole de la foi chrétienne et c’est pourquoi nous négocions au cas par cas », précise-t-il au Global Times.

Parmi les chrétiens de Wenzhou et de sa région, le son de cloche est différent. Zheng Leguo, un prédicateur de Wenzhou, a lancé une pétition sur Internet pour appeler le gouvernement « à protéger le droit du peuple à la liberté de religion, un droit inscrit dans la Constitution [de la République populaire de Chine] ». Un millier de pasteurs l’auraient déjà signée à Wenzhou et ailleurs en Chine ainsi qu’à l’étranger.

Zheng Leguo reconnaît volontiers que « de nombreuses églises ne sont pas complètement [construites] selon les règles », mais cette « illégalité forcée » est due au refus des autorités au niveau provincial de voir s’édifier de « grandes églises ». « Le besoin de tels édifices est pourtant réel. Alors nous construisons et les autorités municipales ferment les yeux », ajoute-t-il encore, soulignant ainsi la proximité au niveau local entre les responsables de communautés chrétiennes et les autorités locales qui peut exister dans certains cas.

Professeur de philosophie à l’Université Renmin à Pékin, Cao Nanlai a étudié de près l’essor du christianisme à Wenzhou et sa région (1). Il établit un parallèle entre ce que l’on a appelé « le modèle de développement de Wenzhou », caractérisé par la production massive de marchandises vendues à bas coût avec des marges peu élevées et qui a connu une crise sévère ces dernières années, et l’essor du christianisme protestant dans cette région. « La croissance du protestantisme à Wenzhou est en phase avec l’accent porté sur la rapidité et l’ampleur de l’expansion économique. Les fidèles y construisent de grandes églises surmontées de hautes croix qui symbolisent la bénédiction de Dieu sur la communauté ainsi que la proximité de celle-ci avec les cieux. Il y a une dimension d’affichage ici : les chrétiens de Wenzhou veulent montrer de quoi ils sont capables, combien ils sont bénis de Dieu et moralement supérieurs aux autres », analyse le chercheur.

(eda/ra)