Eglises d'Asie – Birmanie
POUR APPROFONDIR – L’archevêque de Rangoun dénonce la traite des êtres humains qui « couvre de honte la Birmanie »
Publié le 16/09/2014
… à faire cesser le trafic des êtres humains considéré par les ONG internationales comme l’un des pires fléaux sévissant en Birmanie aujourd’hui.
Sa déclaration intervient alors que la Birmanie vient « d’interdire temporairement à ses ressortissantes de travailler comme domestiques à Singapour » jusqu’à la signature d’ un protocole d’accord avec la Cité-Etat « sur les questions notamment des droits et des salaires des travailleurs. »
Cette décision surprenante, survenant un an à peine après la modification de la loi sur l’émigration (1), a été motivée, selon le gouvernement, par des rapports alarmants concernant « des abus et exploitation du personnel de maison » dans la Cité-Etat. Les ONG dénoncent, quant à elles, des pressions internationales suite aux scandales qui ont été médiatisés récemment (2), soulignant que ces faits « étaient connus depuis longtemps des autorités birmanes ».
Protéger la jeunesse de la traite et de toutes les formes d’esclavage
par Mgr Charles Maung Bo
Le trafic d’êtres humains est un enfer virtuel pour des millions de personnes vulnérables. Chaque année, plus d’un million d’êtres humains sont victimes de ce trafic et environ 400 000 femmes sont forcées à devenir des esclaves sexuelles.
Le monde est déjà responsable de la honte de la perpétuation de l’esclavage sous toutes ses formes modernes ; mais l’Asie du Sud-Est demeure la partie du monde la plus vulnérable dans ce domaine, pour les populations pauvres.
Les pays englués dans des décennies de guerre et de pauvreté doivent sacrifier leurs fils et leurs filles sur l’autel de la cupidité. Cette région a perdu toute dignité à cause des barons de la drogue, des trafiquants qui manipulent avec cynisme les gouvernements et de tous les systèmes mis en place pour gagner le plus d’argent possible, au Laos, en Birmanie et au Cambodge.
Le Myanmar a un triste passé dans le domaine de l’exploitation de ses filles et de ses fils dans différentes parties du monde. Nous sommes la nation de l’exode. Un exode dû à des catastrophes provoquées par l’homme, soit six décennies d’une dictature sans pitié qui a instauré un inévitable sous-développement.
Ces vingt dernières années, plus de trois millions de personnes ont été contraintes à l’émigration dans des conditions très dangereuses. Nos jeunes ont fui la pauvreté, la guerre, la persécution, le manque d’éducation, le manque d’emploi. En tant que déplacés ou en tant que réfugiés, trois millions de nos concitoyens ont dû quitter leur foyer. Et des centaines de nos filles croupissent dans des bouges oubliés en pays étranger.
Ceux qui pratiquent la traite des êtres humains ont beaucoup à gagner par le trafic de nos innocents jeunes du Myanmar. Ils les vendent comme des marchandises : ils sont travailleurs sans-papiers dans les plantations en Malaisie, bonnes à tout faire sous-payées et exploitées en Thaïlande, objets de désir dans les marchés du sexe de Thaïlande et de Chine, ou encore « femmes provisoires » jetées en pâture aux hommes riches des pays voisins, afin qu’elles leur donnent un enfant avant d’être jetées comme un mouchoir sale à la poubelle et qu’elles rentrent à la maison, brisées dans leur corps et dans leur âme.
Bon nombre de nos fils et de nos filles meurent dans des containers, pendant une tentative d’émigration clandestine, ou sont tués en essayant de traverser des frontières dangereuses. Ils sont enterrés en silence dans des tombes. Et aujourd’hui encore, le flot de ces émigrations continue. Pourquoi ?
Ce n’est que ces toutes dernières années que ce problème a véritablement attiré l’attention du gouvernement de Birmanie. Les ONG internationales ont reproché au gouvernement son indifférence, ont même montré du doigt certains individus en particulier, proches du pouvoir et ayant des liens notoires avec les trafiquants. Les groupes de défense des droits de l’homme ont aussi accusé la junte d’avoir pratiqué le travail forcé, et d’avoir fermé les yeux sur les facilités accordés lors des passages aux frontières aux organisateurs de la traite. Le pays a même été classé niveau 3 dans la lutte contre le trafic d’êtres humains. Un niveau qui désigne une quasi-absence de réponse de l’Etat au problème du trafic et des réseaux de prostitution.
Ce qui nous attriste tout particulièrement, c’est bien cette absence totale de lutte contre le phénomène. Les réseaux de trafiquants sont florissants. Les filles, spécialement celles originaires du delta, sont piégées dans des réseaux qui les expédient dans des zones industrielles et agricoles, des villes frontières, des régions minières et des localités louches où sont implantés des casinos et le tourisme sexuel.
Les acteurs de la guerre civile, qu’ils soient du côté de l’Etat ou des opposants, n’ont rien fait non plus pour protéger les filles du Myanmar.
Notre douce jeunesse de Myanmar a été totalement exploitée par tous, trafiquants comme employeurs ; les hommes ont été soumis à la servitude et les femmes à l’exploitation sexuelle. Les villes frontalières sont particulièrement vulnérables à ce phénomène. Les trois évêques kachins, des diocèses frontaliers, ont lancé un cri d’alarme à propos du génocide silencieux de toute une jeunesse, qui s’éteint, victime de la guerre, de la drogue et du trafic d’êtres humains.
Le nouveau Myanmar a échoué sur trois plans : construire l’Etat, construire la nation et construire la paix. Nous reconnaissons à leur juste valeur les efforts de ceux qui ont travaillé en vue d’un consensus sur ces questions, qu’ils fassent partie de l’Etat ou non. Mais un Etat qui ne peut assurer ni la vie ni la sécurité à ses citoyens les plus vulnérables, en leur permettant de préserver leur dignité, leur survie matérielle, une éducation de base et un avenir, a échoué dans son devoir envers son pays.
La montée d’un capitalisme de « copinage » qui enrichit les riches et appauvrit les pauvres, mais aussi la confiscation progressive des terres ainsi que la disparition du droit coutumier laissent présager l’augmentation inexorable des exactions qui se produisent journellement à l’encontre des plus vulnérables. Après cela, la paix ne sera plus qu’un rêve…
Nous exhortons le gouvernement, la société civile et les responsables religieux à entrer en guerre contre la menace que représente le trafic d’êtres humains. Les communautés, les institutions et les groupes religieux doivent sensibiliser la population à ces problèmes et faire campagne aux côtés du gouvernement afin que soit mise en place une véritable surveillance des frontières et des aéroports.
Les victimes et celles d’entre elles qui ont été rapatriées ont besoin d’être prises en charge, soignées et réhabilitées. Nous apprécions à leur juste valeur les récents efforts du gouvernement sur cette question, mais ils restent néanmoins insuffisants.
Des rapports continuent de tomber, faisant état de milliers de jeunes filles birmanes vendues comme esclaves sexuelles en Thaïlande et en Chine. En tant que nouvelle nation, le Myanmar doit sécuriser ses frontières, faire comprendre à ses voisins qu’il protège ses citoyens selon les directives de l’Organisations internationale du travail (OIT), et sauver ses filles de l’enfer de l’industrie du sexe. Aujourd’hui, nous sommes, en tant que peuple et en tant que nation, couverts de honte à cause de ces abus exercés à l’encontre de nos femmes dans les zones frontalières.
La Chine, avec sa politique de l’enfant unique, a des millions d’hommes qui se retrouvent sans femmes ni aucune perspective de vie conjugale quelle qu’elle soit. Cela a pour conséquence d’avoir laissé se mettre en place l’un des plus abominables trafics d’êtres humains qu’ait connu cette terre ces dernières années.
C’est ainsi que des femmes innocentes se retrouvent vendues par des trafiquants à la frontière chinoise en échange de la promesse d’un supposé emploi de domestique. Elles sont alors emmenées dans des villages chinois reculés où des hommes vieux et infirmes abusent d’elles et les utilisent pour avoir des enfants sans leur consentement. Certaines d’entre elles sont revendues ensuite à d’autres hommes célibataires. La plupart du temps, les enfants conçus sont arrachés à leurs mères pendant que celles-ci sont renvoyées chez elles, les mains vides et, dans plusieurs cas, infectées par de graves maladies sexuellement transmissibles.
J’exhorte le gouvernement du Myanmar, qui peut s’appuyer sur une armée de près de 500 000 hommes, de faire cesser immédiatement ces pratiques et de faire sortir des villes de la frontière chinoise toutes ces femmes mariées de force, pour les ramener chez elles.
Nous prions également avec la plus grande fermeté le gouvernement d’assurer la dignité de la jeunesse déshéritée du Myanmar en s’attaquant d’urgence aux causes de ce fléau. La prévention ne peut s’appuyer que sur un véritable développement, équitable pour tous, la promotion d’une éducation convenable, la création de milliers d’emplois.
Faites de ce pays un pays d’opportunités pour tous et non pas seulement pour les riches. Nous pressons le gouvernement de ratifier toutes les conventions internationales. En tant qu’Eglise, nous vous assurons de tout notre cœur de notre plus complète coopération dans les efforts que le gouvernement ne manquera pas de déployer pour sortir de l’enfer les milliers de jeunes vies innocentes qui y sont retenues par des mafieux sans âme.
Comme l’avait fait remarquer Mgr Silvano Tomasi, observateur permanent du Saint-Siège aux Nations Unies à Genève, nous devons briser le silence sur cette « plaie ouverte sur le corps malade de notre société » et inciter « tous les hommes et les femmes de bonne volonté à crier ‘assez !’ ». Il avait également ajouté que le pape François n’avait cessé en toutes occasions de dénoncer « les nombreuses et abominables formes de l’esclavage qui persistent encore dans le monde d’aujourd’hui » et avait « réuni les responsables des principales religions pour promouvoir la foi et les valeurs humaines communes, afin d’éradiquer pour toujours l’esclavage moderne et le trafic d’êtres humains ».
Qu’une nouvelle ère de liberté se lève sur notre pays, par l’abolition de toutes les formes de l’esclavage moderne !
Mgr Charles Bo, archevêque de Rangoun (Yangon)
(eda/msb)