Eglises d'Asie

Des fêtes de Noël célébrées dans la discrétion par les Eglises domestiques

Publié le 30/12/2014




Tandis que les fidèles des Eglises « officielles » en Chine célébraient Noël avec faste et ostentation, les membres des communautés dites « domestiques » ont fêté la Nativité dans des appartements privés et à l’abri des regards, …

… du moins pour ceux qui n’étaient pas « assignés à résidence » par les autorités.

La répression antichrétienne qui sévit depuis plusieurs mois à l’encontre des Eglises non affiliées aux organismes d’Etat, s’est intensifiée durant la période de Noël, obligeant la plupart de ces communautés, dont l’Eglise de Shouwang, à se réunir dans le secret.

Cette communauté protestante, qui compte un millier de fidèles, est l’une des Eglises non officielles les plus populaires de Pékin. Depuis plusieurs années, sa croissance inquiète les autorités locales, qui ont fini par expulser les membres de la communauté de leur lieu de culte en 2011.

Le 24 décembre dernier au soir, malgré les interdictions et intimidations de la police, ils ont été cependant des dizaines de fidèles à se réunir dans un petit appartement situé au 12e étage d’une tour de Pékin, au-dessus d’un cabinet de chirurgie dentaire. Malgré des mesures de prudence draconiennes (rideaux hermétiquement fermés, membres de l’assemblée prévenus au dernier moment pour plus de sécurité, entrée discrète dans l’immeuble), l’atmosphère était à la fête et la très réputée chorale de Shouwang a entonné « avec jubilation » les cantiques de Noël.

« Cette année, les choses ont vraiment empiré lorsque la police a commencé à arrêter les fidèles », rapporte à l‘AFP, Zhao Sheng, l’un des participants. « Mais peu importe ce qui arrivera, Dieu est avec nous », ajoute avec un sourire l’homme de 54 ans, qui a déjà été emprisonné une semaine pour avoir enfreint l’interdiction de rassemblement qui frappe toujours l’Eglise de Shouwang.

You Zhanglao, un autre membre de la communauté protestante, qui se trouve en résidence surveillée, a déclaré lors d’un entretien téléphonique, avoir dû rester à son domicile pour « célébrer Noël en récitant des prières avec sa famille ».

Depuis que le gouvernement a saisi leur lieu de culte et arrêté plusieurs de leurs pasteurs en avril 2011, les membres de l’Eglise de Shouwang ont tenté à plusieurs reprises, mais en vain, de se réunir de manière informelle dans différents lieux de Pékin, ne réussissant qu’à se faire arrêter. Depuis quelque temps, ils ont trouvé refuge dans de petits appartements loués par la l’ Eglise New Tree, une communauté protestante peu connue, qui a pour le moment réussi à obtenir un « compromis » avec les autorités locales.

« New Tree est relativement indépendante, mais cette liberté peut être remise en question à tout moment », explique le leader de l’Eglise, la Rév. Wang Shuangyan, à l’AFP ce lundi 29 décembre. Bien qu’elle ait baptisé cinq nouveaux membres la nuit de Noël, cette dernière reconnaît que si leur communauté, pourtant surveillée étroitement par la police, n’a pas encore subi d’interdiction, c’est certainement parce qu’elle « est trop petite pour être une menace quelconque » et qu’elle célèbre ses offices très discrètement, dans des lieux privés.

Il est particulièrement difficile de quantifier le nombre de protestants en Chine aujourd’hui. Les statistiques officielles qui s’en tiennent aux chiffres recensés par le Mouvement patriotique des Trois autonomies, contrôlé par le Parti communiste, annoncent 23 millions de chrétiens, dont 16 millions de protestants. Les Eglises protestantes et les ONG annoncent, quant à elles, des chiffres évoluant entre 40 et 70 millions, voire davantage.

Aujourd’hui, ce sont ces millions de membres non comptabilisés par les autorités mais constituant la partie immergée de l’iceberg – celle qui forme la masse des Eglises domestiques –, qui sont l’objet d’intimidations, de sanctions, d’arrestations, voire d’expulsion ou de démolition de leurs lieux de culte. Une répression qui s’appuie sur le caractère « illégal » de ces communautés « non officielles ».

C’est le cas de l’Eglise protestante de Shouwang dont la demande d’enregistrement officiel auprès des autorités a été rejetée en 2006, la communauté ayant refusé de faire partie du Mouvement des Trois autonomies.

Quant à la campagne de démolition des croix et des églises amorcée il y a déjà plusieurs mois, elle s’est accentuée à la veille des fêtes de Noël, en particulier dans la province du Zheijiang, où, selon l’ONG China Aid, plus de 420 croix ont été démontées de force, et des dizaines d’églises, catholiques comme protestantes, partiellement ou totalement détruites par les autorités.

Cette campagne baptisée « Trois rectifications pour une démolition » a été lancée en janvier 2014, à l’initiative du secrétaire général du Parti communiste du Zhejiang. Depuis quelques mois, elle a gagné progressivement d’autres provinces et menace de s’étendre à tout le pays.

Dans le Henan, le 18 décembre dernier, la croix d’une église située à Nanle a été détruite après une lutte acharnée. Bien que le lieu de culte ait été bâti en toute légalité, les autorités locales ont saisi l’église, et le pasteur a été condamné à 12 ans de prison. Le Bureau des Affaires religieuses a également confisqué des millions de yuans économisés par la communauté et destinés à la construction d’un nouveau lieu de culte.

Officiellement, l’opération « Trois rectifications pour une démolition » vise à « embellir » les zones urbaines en supprimant l’aspect disgracieux des structures illégalement construites. Les chrétiens et les défenseurs des droits de l’homme dénoncent quant à eux une vaste campagne de répression visant tous les lieux de culte chrétiens et en particulier les croix dressées sur les édifices, dans le but de stopper la croissance des Eglises dans la région.

Dans la province du Zhejiang où elle est appliquée avec le plus d’intensité, l’opération frappe surtout la zone urbaine de Wenzhou, où les chrétiens, en majorité protestants, qui forment 15 à 20 % de la population – un phénomène à l’origine du surnom de « Jérusalem de Chine » donné à la ville –, affichent une visibilité qui irrite les autorités locales.

Quatre jours seulement avant Noël, de violents affrontements se sont produits entre des représentants du Bureau des Affaires religieuses du Zhejiang et les paroissiens de l’église protestante de Dinqiao, près de Hangzhou, dont la croix devait être retirée. Des fidèles ont été blessés et certains sont encore hospitalisés.

Mais, comme le souligne Yang Fenggang, universitaire spécialiste du monde chinois à la Purdue University aux Etats-Unis, « ces actions du gouvernement se heurtent au fait que les chrétiens étant aujourd’hui très nombreux, le culte, s’il peut être momentanément perturbé, ne pourra jamais être totalement et définitivement interrompu ».

(eda/msb)