Eglises d'Asie

Des textes de loi font peser une menace sur les libertés

Publié le 07/04/2015




Au titre de la lutte contre le terrorisme, le Parlement fédéral a adopté une loi autorisant la détention sans inculpation de personnes suspectées de terrorisme. L’opposition dénonce l’adoption de ce texte qui vient renforcer un arsenal juridique autorisant le pouvoir en place à multiplier les arrestations de ceux qui se montrent critique à son égard.

Dans la nuit du 6 au 7 avril, après des débats houleux, la Chambre basse du Parlement fédéral a adopté la loi dite Pota (Prevention of Terrorism Act 2015), un texte qui autorise la détention sans jugement de toute personne suspectée de prendre part à un projet terroriste ; la détention peut ainsi se prolonger deux ans, renouvelables indéfiniment sur simple décision d’un « Bureau de prévention du terrorisme », instance nommée par le pouvoir exécutif et fonctionnant en dehors des instances judiciaires normales. Si les faits reprochés ne justifient pas la détention, les suspects seront surveillés pendant cinq ans, également renouvelables sans limite, au moyen notamment d’un bracelet électronique. Le pouvoir en place contrôlant la Chambre haute du Parlement, la loi Pota a toutes les chances d’être adoptée définitivement sous peu.

Par ailleurs, durant le week-end précédant le 6 avril, la police a arrêté dix-sept personnes soupçonnées d’avoir projeté des attentats en se revendiquant de Daesh, l’Etat islamique en Irak et au Levant. Le groupe, composé de personnes âgées de 14 à 49 ans, prévoyait d’enlever des personnalités en vue, de commettre des vols à main armée pour se financer et d’attaquer des installations militaires et de police pour s’emparer d’armes, a annoncé la police, sans fournir aucun détail sur les projets d’attentats ; parmi les suspects se trouve un membre important de Daesh, âgé de 49 ans, qui a suivi une formation militaire en Afghanistan en 1989 et en Indonésie en 2000, a encore déclaré la police.

La loi Pota et cette action policière interviennent alors que les autorités malaisiennes s’inquiètent des départs vers le Moyen-Orient de certains de leurs ressortissants partis combattre aux côtés de Daesh. En janvier dernier, le ministre de l’Intérieur, Zahid Hamidi, avait déclaré que 67 jeunes Malaisiens avaient pris le chemin du djihad vers l’Irak et la Syrie ; il avait aussi précisé que, dans les prisons du pays, les détenus suspectés de prêcher le djihad étaient désormais placés à l’isolement afin d’éviter qu’ils n’influencent d’autres détenus. Différents observateurs estiment cependant que le nombre réel des départs vers le Moyen-Orient se situent entre 400 et 1 000.

Le pouvoir malaisien ne fait cependant pas que renforcer la législation antiterroriste ; aujourd’hui 7 avril, Putrajaya a présenté au Parlement un projet de loi renforçant la « Loi sur la sédition », texte controversé qui remonte à 1948, lorsque le pays était encore sous domination britannique. L’actuel Premier ministre Najib Razak promettait depuis 2011 d’abolir cette loi, souvent utilisée pour museler la presse et l’opposition, avant de changer d’avis et de demander au contraire, lors du congrès de l’UMNO de l’an dernier, son « durcissement ». Le nouveau texte prévoit notamment de criminaliser toute offense faite dans le but de promouvoir « l’animosité, l’hostilité ou la haine contre une personne ou un groupe sur la base de son appartenance religieuse ».

Là encore, le gouvernement avait fait précéder sa décision d’actions spectaculaires. Le 30 mars dernier, cinq journalistes en vue étaient arrêtés en vertu de la Loi sur la sédition ainsi que de la Loi sur les communications et le multimédia (loi votée en 1998). Trois d’entre eux appartenaient au site d’information en ligne The Malaysian Insider et deux à l’hebdomadaire The Edge. Après avoir été placés en détention provisoire pour certains d’entre eux, ils ont été remis en liberté, non sans qu’il leur ait été demandé de s’expliquer sur des articles publiés dans leurs colonnes au sujet de l’instauration des hudud (ordonnances prévoyant des peines fondées sur la charia) dans l’Etat du Kelantan (1).

Si les organisations telles Reporters sans frontières et Human Rights Watch ont vivement dénoncé ces arrestations de journalistes, le fait que ces dernières aient été motivées par des articles sur l’introduction des hudud au Kelantan n’est pas anodin, font valoir bon nombre d’analystes locaux.

En effet, la coalition au pouvoir emmenée par l’UMNO ne cesse de perdre du terrain électoral. En 2008, la coalition d’opposition avait gagné 82 sièges au Parlement, confisquant à l’UMNO sa majorité des deux tiers pour la première fois depuis l’indépendance. Aux élections de mai 2013, l’opposition, devenue majoritaire en voix, avait confirmé sa progression. Depuis ces revers électoraux, le pouvoir en place n’a eu de cesse de réagir. Le 10 février dernier, un jugement de la Cour fédérale a condamné à cinq ans de prison pour « sodomie » le leader de la coalition d’opposition, Anwar Ibrahim ; la sentence est sans appel et l’homme politique aura 72 ans lorsqu’il sortira de prison en 2020, date à laquelle il sera inéligible pour encore cinq ans.

Après avoir ainsi « écarté » celui qui avait réussi à fédérer les opposants à l’UMNO, le pouvoir en place cherche désormais à faire éclater la coalition, assez hétéroclite, de l’opposition. C’est en tous cas ainsi que des observateurs politiques expliquent les raisons qui poussent le PAS, parti islamiste membre de la coalition d’opposition, à demander l’application des hudud à toute la population de l’Etat du Kelantan. Ce parti, actuellement profondément divisé entre « radicaux » et « modérés », souhaite demander au Parlement fédéral de voter un amendement à la Constitution du pays qui autoriserait ces hudud ; or, la loi fondamentale garantit actuellement la liberté de religion à tous, les musulmans étant les seuls à être soumis à la charia. Dans le cas où les hudud soient rendus applicables à tous, les partis non islamistes de la coalition d’opposition, qu’ils soient modérés ou qu’ils représentent les minorités ethniques et religieuses, menacent de quitter la coalition d’opposition. Derrière ces manœuvres qui affaiblissent la coalition d’opposition, certains voient la main habile de l’UMNO.

L’ensemble de ces atteintes aux libertés et de ces manœuvres politiques inquiète en Malaisie. Ainsi que le rapportent Asia Sentinel et AlterAsia, le 25 décembre dernier, un groupe de vingt-cinq dirigeants musulmans malais, dont des anciens hauts fonctionnaires comme des juges, des ambassadeurs et des généraux, ont signé une lettre ouverte déclarant que le pays « glissait lentement vers l’extrémisme religieux et la violence » ; ils s’y disaient profondément inquiets à propos du radicalisme islamique que le gouvernement en place tolère par calcul politicien.

(eda/ra)