Eglises d'Asie – Chine
Au Xinjiang, l’Etat somme les commerçants musulmans de vendre de l’alcool et des cigarettes
Publié le 06/05/2015
… adhère à « une forme d’extrémisme religieux » et présente donc un danger potentiel.
L’injonction de vente signifiée aux restaurants et aux commerces a été publiée par les autorités du village de Laskuy, qui dépend de la localité d’Aktash, dans la préfecture de Hotan (Hetian en chinois), de la Région autonome du Xinjiang. Non seulement les restaurateurs et les commerçants doivent vendre un minimum de « cinq marques différentes d’alcool et de cigarettes », mais ils doivent en faire la promotion par des « panonceaux bien visibles ». Ceux qui ne se conformeraient pas à ce nouveau règlement verront leur boutique fermée, leur licence révoquée et seront poursuivis en justice, précise encore l’édit municipal.
Radio Free Asia (RFA) rapporte que le Comité du Parti communiste de Laskuy indique que l’ordre de vente obligatoire vient « des échelons supérieurs [du Parti] » et vise « à mieux servir le public ». Adil Sulayman, secrétaire du Parti d’Aktash, a été plus explicite auprès du journaliste de RFA ; il a précise que le règlement s’inscrit dans « une campagne visant à affaiblir la religion dans la région ».
« Depuis 2012, les gens ont cessé de vendre de l’alcool et des cigarettes. Ceux qui en tiraient un bénéfice ont arrêté du fait de la réprobation sociale ambiante. C’est pourquoi [ce règlement a été édicté] », explique ce responsable, en ajoutant que, selon lui, près des quatre cinquièmes des habitants âgés de 16 à 45 ans s’abstiennent de boire et de fumer en public.
Au Xinjiang, province de l’extrême nord-ouest chinois, les populations turcophones et musulmanes, les Ouïghours notamment, ressentent de plus en plus vivement la politique de sinisation forcée menée par Pékin. Selon les statistiques gouvernementales chinoises, les Ouïghours représentaient 75 % de la population du Xinjiang en 1953 ; les chiffres du recensement de 2010 indiquent qu’ils sont devenus minoritaires et ne forment plus que 46 % de la population de la province.
Ces deux dernières années, les attentats et les actions violentes se sont multipliées, les autorités chinoises répondant à cette situation par une répression tous azimuts. Toute revendication identitaire, quelle soit culturelle ou religieuse, est systématiquement présentée par le gouvernement comme obéissant à une visée « séparatiste » ou « terroriste ». Les campagnes « Frapper fort » se succèdent, ainsi que les messages du type : « Les sept comportements qui caractérisent un extrémiste religieux », au nombre desquels on trouve « le fait de cesser de boire et de fumer », « le fait de refuser de boire un verre avec des amis » ou bien encore « refuser d’ouvrir son restaurant ou son magasin durant le Ramadan ».
Au cœur de la préfecture de Hotan, théâtre d’incidents particulièrement violents (le dernier en date remonte au 19 avril dernier lorsque, dans des circonstances mal éclaircies, les forces de sécurité ont encerclé une maison du village de Suk, dans le district de Keriye, où huit Ouïghours accusés de terrorisme s’étaient retranchés ; l’explosion de la maison, provoquée par ses occupants selon la police, a tué six d’entre eux, les deux survivants étant capturés peu après), le village d’Aktash « est un village clé », estime Adil Sulayman. « Nous nous devons d’appliquer avec efficacité la campagne ‘Affaiblir la religion’. Le sentiment religieux gagne en puissance et cela affecte la stabilité », explique le responsable local à RFA, en ajoutant que l’application du règlement sur la vente obligatoire d’alcool et de cigarettes s’est fait sans problème. « Nous avons plus de 60 restaurants et magasins dans le village et on m’a rapporté que tous avaient commencé à constituer un stock d’alcool et de cigarettes dans les trois jours qui ont suivi l’annonce », précise-t-il, ajoutant toutefois n’avoir pas inspecté les lieux lui-même.
Daté du 29 avril 2015, le règlement du Comité du Parti communiste du village d’Aktash ordonnant la vente obligatoire d’alcool et de cigarettes.
(RFA/photo envoyée par un auditeur de RFA)
Interrogé par le Washington Post, l’universitaire James Leibold, spécialiste des questions ethniques en Chine à l’université La Trobe de Melbourne, en Australie, estime qu’en matière de lutte contre l’extrémisme religieux, les autorités chinoises « sont souvent à côté de la plaque ». Un très sérieux manque de compréhension de la situation les amène à se concentrer sur ce qu’elles perçoivent comme les éléments visibles, mais très imprécis, de radicalisation, tels que le port de barbe, du voile ou l’abstinence d’alcool. Il en résulte « un délit de faciès ethno-culturel ». « Mais ces réflexes et les politiques qui en découlent ne font qu’enflammer les tensions ethniques sans prendre en compte les causes de l’extrémisme religieux ; ils contribuent à aliéner les membres de la communauté ouïghoure, en exacerbant le sentiment qu’ils ne sont pas les bienvenus dans une société qui leur est hostile et dominée par les Chinois Han », analyse ce professeur (1).
(eda/ra)