Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Journaux de martyrs dans la Chine de Mao

Publié le 07/07/2015




Le 9 juillet, l’Eglise célèbrera la fête des 120 martyrs de Chine canonisés par Jean-Paul II le 1er octobre 2000. On se souvient que, pour l’Eglise catholique, le choix de ce dimanche 1er octobre, « dimanche des Missions » de l’Année Sainte 2000, pour canoniser des martyrs de Chine résonnait d’une manière …

… toute particulière, le 1er octobre étant aussi la fête de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, patronne des Missions et carmélite qui aurait rêvé de partir comme missionnaire en Chine.

On se souvient aussi que, bien qu’aucun des 120 martyrs canonisés n’appartienne à la période communiste, le choix de la date du 1er octobre souleva les plus vives protestations du gouvernement chinois, ce jour coïncidant avec la fête nationale chinoise, le 1er octobre 1949 étant ce jour où Mao Zedong proclama l’avènement de la République populaire de Chine, place Tien’anmen à Pékin.

Depuis cette date, si, pour ce qui concerne l’Asie, l’Eglise a accepté d’ouvrir des procès en béatification pour des martyrs victimes, au Laos et au Cambodge, des communistes et des troubles qui ont accompagné leur prise du pouvoir, Rome n’a pas, à ce jour, ouvert de nouvelles causes concernant les victimes directes des communistes chinois. On peut subodorer qu’au Vatican, on estime que la relation avec Pékin est suffisamment délicate pour ne pas la compliquer par des causes en béatification de témoins (le sens originel du mot martyr) victimes des exactions de communistes dont les héritiers directs sont toujours au pouvoir en Chine continentale.

Ces dernières décennies, des livres ont néanmoins documenté les épreuves traversées par les catholiques de Chine après 1949. On peut ici mentionner l’ouvrage du P. François Dufay, prêtre des Missions Etrangères de Paris, En Chine, l’étoile contre la croix ; paru en 1955 chez Casterman, ce livre essentiel est une étude rigoureuse des méthodes communistes de lavage du cerveau et une description méthodique des moyens utilisés pour faire « craquer » les prisonniers de Mao. D’autres depuis ont paru. Parmi les plus récents d’entre eux, on peut signaler le livre qui vient de paraître aux Editions missionnaires italiennes (EMI), à Bologne : Enchaînés pour le Christ. Journaux de martyrs dans la Chine de Mao (In catene per Cristo. Diari di martiri nella Cina di Mao).

Sous la direction du journaliste et éditeur Gerolamo Fazzini, avec une préface du P. Bernardo Cervellera, directeur de l’agence AsiaNews, ce livre de 416 pages, non traduit en français, offre quatre témoignages directs des persécutions exercées dans les années 1950 et 1960. Quatre journaux intimes rédigés par quatre chrétiens qui ont été persécutés au cours des premières années de la révolution communiste. Des journaux intimes qui étaient devenus presque introuvables, mais qui sont maintenant de nouveau disponibles, édités pour la première fois dans leur texte intégral, et proposés au grand public.

Les quatre témoins sont, dans l’ordre de leur apparition dans le livre : Mgr Gaetano Pollio, missionnaire italien de l’Institut Pontifical des Missions Etrangères (PIME), puis archevêque de Kaifeng (actuelle province du Henan), arrêté et condamné aux travaux forcés pendant six mois en 1951 ; Mgr Dominique Tang Yee-ming, jésuite, archevêque de Canton, incarcéré sans procès préalable pendant vingt-deux ans sans que personne ne sache plus rien à son sujet, au point qu’il ait pu être considéré comme mort ; Jean Liao, catéchiste, emprisonné dans un laogai pendant vingt-deux ans, uniquement pour avoir été et être resté un fidèle catholique ; le P. Léon Chan, quatre ans et demi de prison, l’un des premiers prêtres chinois à avoir fui à l’étranger et à avoir raconté la vérité à propos de la Chine, justement au cours de ces années 1960 où le Petit livre rouge de Mao était très à la mode en Occident en tant que symbole de liberté et d’émancipation.

L’extrait du livre qui est reproduit ci-dessous ne décrit pas l’horreur des procès, ni l’atrocité des tortures, ni la diabolique cruauté de la « rééducation ». Au contraire, écrit Sandro Magister dans le compte-rendu qu’il a donné de ce livre le 23 mai dernier, il raconte comment la liturgie eucharistique a été célébrée et vécue même dans des conditions de captivité très dures, dans ce cas-là par un évêque et par d’humbles fidèles qui étaient toutes des jeunes femmes, auxquelles s’ajoute une fillette âgée de 4 ans, qui avaient une foi assez forte dans le sacrement qui est le sommet et la source de la vie de l’Eglise pour « déplacer les montagnes » et faire de l’inimaginable une réalité.

Nous remercions ici Gerolamo Fazzini, l’éditeur du livre, de nous autoriser à reproduire le passage ci-dessous. La traduction française est de Charles de Pechpeyrou.

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« Cette messe était comme un reflet du Ciel »

par Mgr Gaetano Pollio, archevêque de Kaifeng

Cela se passait en 1951. Dans cette prison, qui constituait une annexe du commissariat de police, des chrétiens priaient, ils souffraient et ils s’immolaient, jour après jour, pour le triomphe de leur foi. Là, j’ai eu la consolation de revivre des scènes qui faisaient penser aux catacombes.

J’ai eu, par-dessus tout, le réconfort de pouvoir y célébrer, de manière clandestine, la sainte messe. Dans ma cellule on m’avait donné un tabouret et j’ai pensé : ce sera mon autel. J’avais également un bol dans lequel je buvais l’eau bouillante qui, dans la prison, nous était distribuée deux fois par jour, et je me suis dit : ce sera mon calice. Comme j’étais, à ce moment-là, l’objet d’accusations et de procès à caractère politique, les dirigeants communistes, dans la crainte que je ne tombe malade ou que je ne meure en prison, ce qui les aurait privés du plaisir de me voir fusillé, permettaient que du pain de blé me soit apporté par un catéchiste du diocèse, et j’en ai été tout heureux : une bouchée de ce pain allait être mon hostie.

Que me manquait-il encore pour pouvoir célébrer la messe ? Ce qui me manquait, c’était le vin. Grâce à un stratagème j’ai également réussi à m’en procurer. En Chine il n’existe pas de vin ni de vinaigre de raisin, parce qu’ils sont tirés, l’un comme l’autre, de céréales. J’ai demandé au gardien-chef de la prison une bouteille de vinaigre de vin en tant que médicament parce que – ai-je expliqué – un peu de vinaigre pris à jeun allait me donner de la force. Le gardien-chef a fait demander du vinaigre de raisin ; mes missionnaires ont compris ce que je voulais vraiment et ils ont apporté une petite bouteille de vin de messe. La petite bouteille a été examinée par les juges et ceux-ci ont déclaré que son contenu était du vinaigre.

J’ai réussi quatre fois, de cette manière, à obtenir du vin. Portant mes vêtements de détenu, sans ornements, sans linges sacrés ni cierges, debout, ou bien assis par terre devant mon tabouret, j’offrais une bouchée de pain sur un morceau de papier ou dans la paume de la main, j’offrais dans mon bol un peu de vin et je continuais la célébration de la messe, depuis la préface jusqu’à la communion. J’étais même parvenu à avoir la messe de la Sainte Vierge et le canon, imprimés sur quelques feuilles de papier dans lesquelles les missionnaires enveloppaient le pain, et j’ai pu célébrer à de nombreuses reprises le saint sacrifice depuis le début jusqu’à la fin. Un jour, malheureusement, une sentinelle qui effectuait une perquisition dans ma cellule a découvert ces feuilles de papier et elle les a déchirées, bien qu’elle ait ignoré ce qui était écrit dessus.

J’ai célébré la messe ainsi cinquante-neuf fois, sans jamais éveiller l’attention des sentinelles qui, dans la plupart des cas, pénétraient à l’improviste dans ma cellule pendant que je célébrais, mais qui ne se sont jamais doutées que j’accomplissais l’acte le plus sacré qui soit ; j’étais dans le parfait respect des réglementations policières. La messe célébrée dans de telles conditions, dans une prison où les persécuteurs communistes se déchaînaient dans leur lutte satanique pour faire plier les chrétiens, cette messe, je le dis, était comme un reflet du ciel.

La fillette qui s’appelait « Petite beauté »

Huit des jeunes femmes qui s’étaient montrées héroïques dans la défense de la foi furent emprisonnées et on les enferma dans la cellule voisine de la mienne. Parmi elles il y avait la mère d’une fillette âgée de quatre ans dont le nom était Siao Mei, ‘Petite beauté’. Ces femmes héroïques voulaient communiquer avec moi. Comment faire ? Elles eurent l’idée de se servir de la petite fille. Elles demandèrent au gardien-chef, uniquement pour la fillette, la permission de sortir de la cellule quelques heures par jour, afin qu’elle puisse respirer un air plus sain.

Etant donné que la cellule était de faibles dimensions et la fillette d’aspect gracile, la permission fut accordée. Siao Mei se rendait dans la cour de la prison et, lorsque les sentinelles étaient un peu éloignées de ma porte, elle s’en approchait et me disait à travers une fente, en détachant bien les mots : « Comment vas-tu, notre évêque ? Ma maman et mes tantes m’ont envoyée te saluer. Qu’est-ce que je dois leur dire ? » Et je lui répondais : « Petite fille, dis à ta maman et à tes tantes de ne pas avoir peur, d’être fortes et de beaucoup réciter le chapelet. »

L’eucharistie derrière les barreaux

La cellule dans laquelle étaient détenues les huit jeunes femmes et Siao Mei était devenue un sanctuaire : la souffrance quotidienne y était sanctifiée et, à plusieurs reprises, l’hostie consacrée a pu y pénétrer clandestinement. Ne faisant pas l’objet d’un procès, mais étant seulement soumises à des interrogatoires qui avaient pour but de leur extorquer des chefs d’accusation contre nous, les jeunes femmes pouvaient recevoir de la nourriture de la part de leurs parents, par l’intermédiaire des gardiens. Mes missionnaires eurent l’idée de leur faire parvenir l’eucharistie, notre réconfort et notre force pendant notre pèlerinage terrestre.

En Chine, les pains sont de petite taille et ils ont la forme d’un cône. On les fait cuire à la vapeur d’eau et ils sont entièrement composés de mie, sans croûte. En y pratiquant une incision, on peut facilement y dissimuler quelque chose de petit et mince. Les missionnaires cachaient dans ces pains quelques fragments d’hosties consacrées ; ensuite les pains étaient apportés à la prison par les parents des jeunes femmes et remis aux gardiens, qui les apportaient dans la cellule. Les héroïques détenues ouvraient les pains et y trouvaient les hosties consacrées ; puis, de leurs propres mains, elles se donnaient la communion à elles-mêmes.

Ces jours où Jésus pénétrait dans leur cellule pour la sanctifier et pour leur donner une nouvelle force étaient certainement les jours les plus heureux. Dans cette prison sinistre nous avons passé plusieurs fêtes : c’étaient des jours de doux souvenirs religieux, d’espérance en la victoire de l’Église, de joie d’offrir à Jésus nos propres souffrances. Ces jours étaient ceux de l’Ascension, de la Pentecôte, de la Fête-Dieu, les premiers vendredis et samedis du mois et d’autres dimanches. Jésus descendait dans ma cellule et il y changeait un petit morceau de pain et quelques gouttes de vin versées dans un bol en son corps et son sang très précieux tandis qu’il pénétrait dans l’autre cellule, précisément par l’intermédiaire des mains de gens qui le détestaient, afin d’y trouver des cœurs qui l’aimaient et qui lui étaient fidèles.

A chaque fois que ces jeunes femmes témoins de la foi recevaient l’eucharistie, elles en laissaient un fragment dans un pain et, assises sur leurs nattes, elles faisaient adoration toute la journée, en silence. Il était interdit de prier à haute voix dans la prison, mais, depuis ces cœurs la prière s’élevait avec chaleur et arrivait jusqu’aux cieux.

Combien de fois ai-je pensé : cette cellule dégoûtante qui cachait le Roi des rois était plus précieuse que nos églises, qui sont trop souvent désertées. Dans un don d’elles-mêmes qui était passionné et total, ces femmes manifestaient leur amour envers Jésus et leur fidélité : elles voulaient bien mourir mais pas se soumettre à un gouvernement athée, mourir mais pas apostasier.

Le soir, celle d’entre elles qui n’avait pas communié ce matin-là consommait le dernier fragment. L’adoration cessait, les ténèbres de la nuit descendaient sur nous, on allait de nouveau entendre des pleurs et des gémissements, mais la ferveur se maintenait dans nos âmes et la volonté de nous immoler comme Jésus augmentait en nous.

Le viatique porté par le petit ange

Un jour, les chrétiennes qui languissaient dans la cellule voisine de la mienne eurent un geste qui était digne de leurs sœurs des premiers siècles de l’Eglise. Dans la troisième cour de la prison était détenue une de leurs amies, Joséphine Ly, qui, en raison de sa foi et de son courage, avait été reléguée dans une cellule humide et sombre. Ces femmes pensèrent : il faut lui faire parvenir l’eucharistie.

Comment faire? Elles pensèrent une fois encore à la petite Siao Mei. Pendant quelques jours, elles lui firent soigneusement la leçon. Lorsque le moment arriva où la sentinelle avait l’habitude d’ouvrir la porte pour faire sortir Siao Mei de la cellule, les jeunes femmes chrétiennes prirent un fragment d’hostie consacrée, elles l’enveloppèrent dans un petit mouchoir propre et elles le mirent dans la petite poche du vêtement de la fillette, juste sur son cœur. La mère de l’enfant prit la petite fille dans ses bras, elle l’éleva à la hauteur de son visage et lui demanda : « Dis-moi, Siao Mei, si la sentinelle trouvait l’hostie sur toi, que ferais-tu, toi ? » La fillette répondit calmement : « Je la mangerais et je ne la donnerais pas au gardien. »

Ces paroles ont ému le cœur paternel du Saint-Père Pie XII, lorsque je lui ai raconté l’histoire de Siao Mei, à l’occasion de l’audience privée qu’il m’a accordée quand je suis revenu de Chine, et elles lui ont inspiré cette exclamation : « Réponse dogmatique ! »

Chère Siao Mei, tu avais compris que si une main sacrilège avait tenté de profaner la sainte hostie, tu pouvais recevoir Jésus, bien que n’ayant pas la maturité nécessaire, mais que tu ne pouvais pas donner le fragment d’hostie à un gardien de prison communiste, ennemi de Dieu et païen.

Le cadenas grinça, la porte s’ouvrit. Siao Mei sortit de la cellule en souriant, elle s’arrêta dans la première cour où elle joua toute seule ; puis elle se rendit dans la seconde cour. Quand elle arriva dans la troisième cour, le gardien voulut la faire partir ; c’était un gardien au visage sévère et dédaigneux, qui avait déjà donné des preuves de sa fidélité au régime et de sa capacité à faire incarcérer un bon nombre d’innocents. « Je veux voir ma tante Joséphine Ly », dit Siao Mei. « Tu ne peux pas », répondit durement le gardien. « Pourquoi est-ce que je ne peux pas ? C’est ma tante. » Et elle commença à crier : « Tante Joséphine, tante Joséphine ! »

La sentinelle réprimanda sévèrement l’enfant et chercha à la chasser de la cour ; mais Siao Mei, volontairement, se mit à pleurer à chaudes larmes et à sangloter. La sentinelle, craignant d’être accusée d’avoir frappé la fillette, ouvrit avec promptitude la porte de la cellule de Joséphine Ly et y fit entrer le petit ange. Et l’innocente Siao Mei remit à Joséphine le précieux petit mouchoir… Elle resta un petit moment, silencieuse et recueillie, dans cette cellule, puis elle se remit à pleurer et la porte s’ouvrit à nouveau. Ainsi, en recourant aux larmes et à quelques petits caprices, Siao Mei réussit bel et bien, quatre fois, à porter la communion à sa prétendue tante.

Alors que, dans cette prison obscure, des jugements criminels étaient émis contre des innocents ou contre les adeptes du Christ, alors que des scènes de terreur et d’horreur s’y produisaient de manière répétée, nous y vivions, nous, des scènes de piété et d’amour, des scènes qui faisaient penser aux premiers siècles de l’Eglise.

(eda/ra)