Eglises d'Asie

Conflit dans l’Etat Shan : une paroisse catholique prise pour cible

Publié le 06/03/2015




Depuis la reprise des combats, le 9 février dernier, entre Tatmadaw, l’armée gouvernementale, et la rébellion armée de la minorité chinoise de Kokang, la tension est montée d’un cran dans l’Etat Shan (nord-est du pays), où, le 17 février, l’état d’urgence a été décrété pour une durée de trois mois. Le 24 février, une paroisse catholique de …

… la ville de Kutkai a fait les frais de ce brusque regain des hostilités.

Kutkai se trouve à mi-distance entre Lashio, principale ville du nord de l’Etat Shan, et Muse, ville située à la frontière avec la province chinoise du Yunnan. La localité est traversée par le principal axe routier qui relie Mandalay à la Chine populaire. Depuis la reprise des hostilités entre les rebelles Kokang et l’armée birmane, de nombreux civils y sont venus chercher un refuge. De plus, divers groupes armés se croisent dans ses environs immédiats, que ce soit les troupes gouvernementales, une milice locale pro-gouvernementale, des hommes de la Kachin Independence Army – qui trouvent là une base arrière pour les combats qu’ils mènent plus au nord, dans l’Etat Kachin –, ceux de la Ta’ang National Liberation Army ou bien encore ceux de la Shan State Army-North, sans compter les rebelles Kokang, dont le nombre est estimé à 2 000 hommes.

Dans la nuit du 24 au 25 février dernier, un incident a eu pour cadre une paroisse catholique de Kutkai. Selon le curé de cette paroisse, le P. John Sau Luk, interrogé par l’agence Ucanews, cette nuit-là, « trois obus de mortier sont tombés tout près de l’église ; deux ont explosé, mais pas le troisième. Je me suis réfugié sous mon lit. Les vitres de la chambre du vicaire de la paroisse ont volé en éclats, sans le blesser heureusement ». L’une des vitres de la façade de l’église a été brisée. Des coups de feu ont également éclaté à proximité immédiate de l’église.

Des dégâts somme toute relativement légers, mais une attaque très inhabituelle, les lieux de culte étant le plus souvent épargnés par les combattants. Le P. Sau Luk précise aussi être dans l’impossibilité de connaître l’origine de ces tirs de mortier.

Le lendemain matin, les choses se sont envenimées lorsque l’armée est venue ramasser l’obus non explosé. Les soldats ont encerclé l’enclos paroissial, ils sont entrés dans les bâtiments, questionnant les personnes présentes, et se sont livrés à une fouille en règle de l’église et du presbytère. Cinq jeunes hommes, qui vivaient sur place, et le gardien des lieux, un homme de 55 ans, ont été emmenés pour interrogatoire à la base militaire voisine. « Ils ont bandé les yeux de trois d’entre nous et ils m’ont frappé avec la crosse d’un fusil », rapporte l’un des cinq jeunes adultes. Les six ont clamé leur innocence, disant n’être en rien mêlés avec les combats de la nuit précédente. Les soldats les ont toutefois interrogés, souvent avec brutalité, durant cinq heures avant de les remettre à la police, qui les a ensuite remis en liberté. « Ils nous accusaient d’être des rebelles, et nous criaient : ‘Où sont les armes ? Où sont les bombes ?’, témoigne encore ce jeune. L’un de nous six comprenait mal le birman ; les coups ont redoublé pour lui. »

Après six années de calme, la reprise des combats entre les rebelles Kokang et Tatmadaw a été violente : le 9 février, ce sont une cinquantaine de soldats gouvernementaux, une trentaine de rebelles et plusieurs dizaines de civils qui sont morts. Depuis, deux convois humanitaires de la Croix-Rouge birmane ont été pris pour cible. Les personnes déplacées se comptent en dizaines de milliers (dont 30 000 sont allées chercher refuge au Yunnan). Située à une centaine de kilomètres à l’est de Kutkai, la région de Kokang, frontalière avec la Chine, abrite une minorité chinoise, dont la rébellion porte le nom de Myanmar National Democratic Alliance Army. Depuis la capitale Naypyidaw, le président Thein Sein a fait le serment qu’il « ne laisserait pas perdre un pouce du territoire du Myanmar » au profit des rebelles.

Dans ce contexte où chacun se prépare aux élections législatives prévues pour la fin de cette année – élections qui détermineront le choix du successeur de Thein Sein à la tête de l’Etat –, les difficultés s’accumulent pour le pouvoir en place. Les négociations de paix entre Naypyidaw et les organisations représentant les minorités ethniques piétinent. Les étudiants sont mobilisés contre un projet de loi, actuellement en discussion, sur l’éducation. Les mouvements sociaux pour une hausse des salaires se multiplient. Les groupes extrémistes bouddhistes entretiennent un climat d’animosité envers la minorité musulmane.

Ce 1er mars, le cardinal Charles Bo, archevêque catholique de Rangoun, présidait la messe célébrée à Nyaung Lay Bin, sanctuaire marial situé à 150 km au nord de l’ex-capitale. Cent mille personnes, catholiques mais aussi bouddhistes, hindoues et protestantes, venues de toutes les communautés ethniques du pays, y étaient rassemblées pour le pèlerinage annuel à Notre-Dame de Lourdes. A la foule, rapporte l’agence Fides, Mgr Charles Bo a évoqué « les sept épées qui transpercent le cœur de Marie au Myanmar ». « Les sept épées de Notre-Dame des Douleurs au Myanmar sont : le capitalisme de copinage – un si petit nombre de familles possède tout – ; le refus de résoudre les conflits par le dialogue, au profit du recours à la violence ; des lois injustes qui continuent de priver les pauvres de leurs terres ; l’économie criminelle du trafic de drogue et d’êtres humains ; la discrimination envers les minorités ethniques ; la destruction et le pillage des ressources humaines ; l’absence d’opportunité en matière d’éducation et d’emploi pour les pauvres », a-t-il égrené en une litanie des maux dont souffre son pays.

(eda/ra)