Eglises d'Asie – Chine
Des millions de yuans évaporés des comptes bancaires du diocèse de Shanghai
Publié le 09/07/2015
… sur « instruction de fonctionnaires du Bureau des Affaires religieuses ».
A l’heure où la Bourse de Shanghai plonge et inquiète les autorités chinoises, l’information peut sembler anecdotique mais elle témoigne de la crise que traverse l’Eglise de Shanghai, dont l’évêque, Mgr Ma Daqin, qui vient d’entamer sa quatrième année de détention en résidence surveillée, est toujours empêché d’exercer son ministère épiscopal.
Selon Ucanews, qui écrit avoir été en mesure de recouper la fiabilité de ses informateurs – lesquels s’expriment tous sous le sceau de l’anonymat en usant d’alias –, des dizaines de millions de yuans ont été transférés des comptes du diocèse vers des comptes d’institutions gouvernementales ou des comptes de personnes physiques au cours des douze derniers mois. L’agence d’information précise que c’est le Bureau des Affaires religieuses – qui met en œuvre la politique religieuse du gouvernement et exerce une tutelle étroite sur les religions officiellement reconnues par les autorités – qui est à la manœuvre et que ses responsables agissent pour le compte de leur administration ou pour eux-mêmes. « Les mouvements sur les comptes [du diocèse] de Shanghai font partie d’une manœuvre plus vaste consistant à s’introduire dans les comptes bancaires de l’Eglise ; il est estimé qu’environ 90 millions de yuans [13,1 millions d’euros] ont été ainsi soustraits [à l’Eglise] au cours des années passées », peut-on lire dans la dépêche de Ucanews datée du 8 juillet.
Le diocèse de Shanghai, l’un des plus importants de Chine sur un plan numérique, connaît de graves problèmes de gouvernance depuis la mort de son emblématique évêque « officiel », Mgr Jin Luxian, décédé le 27 avril 2013. Dès avant cette date, le diocèse avait connu des difficultés extrêmes, notamment lorsque celui qui avait été choisi, en accord avec Rome, pour succéder à Mgr Jin avait annoncé, à l’issue de la messe de son ordination épiscopale, qu’il se démettait de ses responsabilités à la tête de la branche locale de l’Association patriotique des catholiques chinois. C’était le 7 juillet 2012, il y a un peu plus de trois ans, et dès le lendemain, les autorités chinoises « révoquaient » Mgr Ma pour le punir de cet affront fait publiquement à leur politique religieuse. Depuis, Mgr Ma est détenu en résidence surveillée au grand séminaire de Sheshan, voisin de la ville de Shanghai.
Si Mgr Ma continue de communiquer de temps à autre en postant sur son blog des réflexions personnelles, il est empêché d’exercer son ministère d’évêque. Face à ce vide, les autorités ont mis en place un « Comité de direction » du diocèse, composé de cinq prêtres. Selon une source citée par Ucanews et dont la crédibilité est attestée par l’agence catholique d’information, cette structure crée en réalité « un vide » qui permet au Bureau des Affaires religieuses et à l’Association patriotique de « renforcer leur contrôle » sur la vie et les finances du diocèse. Sur les cinq prêtres de ce Comité, deux sont plus spécifiquement chargés des questions financières et, toujours selon cette source, d’importantes sommes d’argent circulent de comptes bancaires en comptes bancaires « sur instruction des responsables des Affaires religieuses ». « Lors de toutes les réunions du Comité de direction, les Affaires religieuses doivent être représentées. Vous pouvez imaginer quelles sortes de décision sont alors prises ! Ils font en sorte, de plus, de placer leurs gens aux postes-clés du diocèse », témoigne encore cette source.
Selon une autre source interne au diocèse de Shanghai, le Comité de direction et ses cinq membres ont été mis en place par Mgr Jin Luxian alors qu’il était affaibli par l’âge et la maladie. « Aujourd’hui, [le Comité] devrait être dissous, analyse ce contact. Les missionnaires nous ont laissé un grand nombre de biens fonciers. Du temps de Mgr Jin, celui-ci s’était entendu avec l’Association patriotique pour qu’elle touche une partie de l’argent de l’Eglise. C’était sa méthode pour que l’Eglise puisse jouir d’un certain espace où il pouvait agir à sa guise. Le problème est qu’après sa mort, personne n’a osé remettre en cause les arrangements qu’il avait passés. »
Dans l’immense métropole qu’est devenue Shanghai, le diocèse catholique occupe une place particulière. De son vivant, en usant de son entregent, de ses contacts à l’étranger et des facilités de déplacement qui lui étaient octroyées, Mgr Jin, brillant polyglotte, avait su renouer des liens avec les instituts et sociétés missionnaires autrefois actifs à Shanghai ; il savait également solliciter les organismes de financement de l’Eglise universelle ; et, lorsque les autorités chinoises ont commencé à rendre les propriétés confisquées dans les années 1950 et suivantes, Mgr Jin a pu en récupérer un grand nombre, faisant de Shanghai un diocèse autonome et relativement prospère d’un point de vue financier. La difficulté aujourd’hui est que, sans évêque en mesure de le gouverner, le diocèse est la proie facile des Affaires religieuses, de l’Association patriotique et de leurs fonctionnaires.
Les problèmes commencent à poindre. Le Guangqi Research Center, l’une des deux plus importantes maisons d’édition catholiques du pays, serait en proie à des difficultés financières. C’est pourtant cette maison qui a contribué, ces vingt-cinq dernières années, à publier en chinois plus de 400 titres de théologie, de spiritualité, de formation catéchétique et de vies de saints, aidant ainsi à la formation du clergé et des fidèles de l’Eglise de Chine.
« Nous ne savons pas quand la situation changera. Nous ne sommes pas très optimistes, fait valoir un certain Paul. Deux options s’offrent à nous, Eglise de Shanghai : soit les instances « officielles » de l’Eglise, depuis Pékin, nomment un nouvel évêque à Shanghai, soit nous nous réunissons, nous les prêtres de Shanghai, pour élire un nouvel évêque. Mais aucune de ces deux solutions ne nous semble faisable. »
Un autre prêtre ajoute : « Les autorités ont dit l’an dernier à Mgr Ma qu’il serait libéré s’il acceptait de prendre la présidence de l’Association patriotique. Mais, dans un de ses messages sibyllins qu’il a coutume de rédiger [sur son blog], Mgr Ma a laissé entendre que sa décision annoncée [le 7 juillet 2012] avait été préméditée, précisant qu’il préférait ‘mourir en détention’ que d’accepter l’offre qui lui était faite. »
En attendant que la lumière soit éventuellement faite sur ces questions financières, la pression des autorités sur le clergé et les religieuses de Shanghai ne se relâche pas. Du 9 au 11 dernier, une trentaine de prêtres et une douzaine de religieuses ont été convoqués pour une session d’études à l’Institut du socialisme de Shanghai, avec au programme des cours sur « le renforcement de l’Etat de droit » en Chine et la « sinisation » des religions, principe cher au président Xi Jinping. Une autre session d’études est planifiée en septembre pour le reste du clergé et des religieuses de Shanghai.
(eda/ra)