Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – La crise environnementale peut-elle être l’occasion d’un changement de politique religieuse ?
Publié le 23/09/2015
… qu’affirme un haut cadre chinois, pionnier dans la prise de conscience par le Parti de la crise environnementale qui affecte aujourd’hui la deuxième économie de la planète.
Le lien entre ce qui s’est produit à Tianjin et la politique religieuse du Parti n’est, a priori, pas évident, mais celui qui l’établit n’est pas un dissident. Né en 1960, gendre de l’ex-général Liu Huaqing (principal commandant chargé des opérations de répression place Tian’anmen, à Pékin, en juin 1989), il est l’un des vice-ministres du ministère pour la Protection de l’environnement (anciennement SEPA – State Environmental Protection Administration, 国家环境保护总局), Pan Yue est une personnalité bien connue des défenseurs de l’environnement en Chine. Il est aussi connu pour avoir prôné une réforme de la politique religieuse du Parti et du gouvernement chinois (lire aussi ici). Après une période de relative disgrâce après 2009, il est récemment revenu au premier plan des hauts cadres du système gouvernemental. Sa proposition visant à associer les religions dans la transformation de la Chine en une puissance plus respectueuse de l’environnement mérite d’être écoutée.
Le texte ci-dessous est paru sous le titre The Communist Party’s righteous, green crusader returns, le 3 septembre 2015, sur le site Internet du Global Pulse Magazine. La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.
The Communist Party’s righteous, green crusader returns
par Michael Sainsbury *
Le dernier endroit où l’on pourrait pu penser que l’encyclique du pape François Laudato Si’ trouve un écho, est bien la Chine communiste, ce pays où les atteintes à l’environnement sont considérables. Et pourtant une étude détaillée et passionnée sur l’importance de la religion et de la philosophie chinoises, écrite il y a quatorze ans par un courageux cadre du Parti du nom de Pan Yue, met l’accent sur l’équilibre entre l’homme et la nature dans la construction d’un avenir meilleur pour une Chine qui, on vient de le rappeler, a drastiquement porté atteinte à son environnement naturel.
« Que ce soit du fait de la conception confucéenne de l’unité entre la nature et l’homme, ou de la perception taoïste du Dao reflétant la nature, ou bien encore de la croyance bouddhiste que tous les êtres vivants sont égaux, la philosophie chinoise, écrit Pan Yue, a aidé notre culture à traverser les siècles. Elle peut être un levier puissant pour prévenir une crise environnementale majeure et construire une société harmonieuse. »
Connu pour ses critiques à l’égard des effets dévastateurs d’une croissance chinoise à tout-va, cet intellectuel et cadre du Parti écrivait encore : « Ce miracle économique va rapidement prendre fin car l’environnement ne peut suivre ! »
Pan Yue, qui a commencé sa carrière comme journaliste spécialisé dans l’environnement, est longtemps resté une voix quasi unique et isolé au sein de l’appareil gouvernemental chinois dans son appel à protéger et défendre l’environnement. Bien qu’il ait gravi les échelons jusqu’au poste de premier vice-ministre au sein du ministère de la Protection de l’environnement (l’équivalent chinois de l’Agence de protection de l’environnement), il fut pourtant réduit au silence en 2009.
Or, ce même Pan Yue vient de faire un retour en grâce remarqué il y a quelques semaines en étant placé à la tête des services délivrant les autorisations liées aux questions environnementales.
Pan Yue a aussi été un acteur de premier plan pour plaider en faveur d’une réforme idéologique au sein du Parti. Afin de faire avancer ses idées, largement relayées par un nouveau courant baptisé « le marxisme écologique », il a écrit que la théorie marxiste devait rester « en phase avec son temps » et reconsidérer son attitude vis-à-vis de la religion.
L’attitude officielle du Parti a toujours été un rejet de la religion, en collant au plus près de la célèbre citation de Marx : « La religion est l’opium avec lequel la bourgeoisie anesthésie le peuple. »
Selon Pan Yue, cette conception de la religion est la doxa marxiste des communistes chinois ; elle « est ainsi devenue le fondement sur lequel est basé notre politique religieuse. La religion est perçue comme un ‘poison’, une survivance de l’ancienne société, en un mot, un reliquat totalement incompatible avec l’état avancé de la classe populaire, incompatible avec un parti politique avancé et incompatible avec la société et un système politique avancé. La religion est comprise comme étant une idéologie diamétralement opposée au marxisme ».
Or, poursuit Pan Yue, cette interprétation est erronée et a eu pour conséquence que « notre politique religieuse a toujours été faussée et que nous en payons le prix aujourd’hui ».
Selon lui, la religion « réunit des personnes qui prennent position contre la souffrance ainsi que des personnes qui recherchent le bien et la beauté. Elle apporte consolation au cœur des hommes, leur donne le courage d’aller de l’avant et les aide à surmonter spirituellement les manques douloureux de leur vie ».
Comme bon nombre de cadres qui menacent de trop près les énormes intérêts économiques qui gravitent au sein et autour du Parti, Pan Yue a été écarté en 2009 après être monté dans la hiérarchie jusqu’à devenir vice-ministre. Il est certes demeuré à ce poste mais il a été de facto réduit au silence et on ne l’a pratiquement pas entendu au cours de ces six dernières années. Officiellement, son retrait a été attribué à des problèmes de santé. Si cela a été effectivement le cas, le peuple chinois devrait se réjouir de son rétablissement !
Mais il semble toutefois improbable que sa réhabilitation surprise n’ait aucun rapport avec l’accident qui s’est produit à Tianjin et a largement répandu son poison dans cette ville proche de Pékin (le bilan officiel de l’explosion qui s’est produit dans un dépôt de produits chimiques le 12 août dernier fait état de 173 morts dont 99 pompiers et près de 800 blessés).
La Chine est aujourd’hui forcée, incident après incident, de regarder en face les destructions faites à l’environnement qui ont été provoquées par une croissance tous azimuts et largement non régulée.
Ne vous y trompez pas, le désastre de Tianjin est aujourd’hui gravé dans la mémoire des citoyens chinois. C’est un moment pivot, une étape cruciale et les idées de Pan Yue creusent désormais leur sillon là même où il souhaitait qu’elles se développent dans l’Empire du Milieu.
Ainsi que le souligne James Miller, professeur d’études chinoises à l’Ecole des religions à Queen’s University (Canada), l’Association des taoïstes de Chine a lancé, ces dernières années, un ambitieux programme afin de promouvoir le taoïsme comme une religion « verte ». Cette nouvelle construction d’un taoïsme « vert » diffère toutefois tant des interprétations chinoises traditionnelles que des interprétations occidentales actuelles au sujet de l’affinité entre taoïsme et nature. D’après James Miller, « en promouvant le taoïsme comme une religion verte, l’Association des taoïstes de Chine ne vise pas à restaurer une utopie mythique où l’homme vivrait en harmonie avec la nature mais à soutenir un agenda nationaliste de développement patriotique et scientifique ».
Le pape François n’est finalement pas si seul et, d’une certaine manière, la réhabilitation de PanYue – ainsi que l’initiative taoïste susmentionnée – pourrait ouvrir un nouveau chemin de réconciliation entre le Parti communiste et le Saint-Siège au-delà de leurs antagonismes anciens et de la division douloureuse entre les parties « officielle » (soumise à l’Association patriotique des catholiques chinois) et « clandestine » de l’Eglise de Chine.
Des négociateurs haut placés des deux bords recherchent aujourd’hui comment reprendre au mieux les rencontres débutées en juin dernier dans l’espoir de parvenir à un accord après 75 ans de statu quo et d’affrontement. Un premier pas, à savoir la reconnaissance de l’importance de l’environnement et de la responsabilité humaine dans l’intendance de la planète, pourrait être un point de départ idéal.
(eda/ra)