Eglises d'Asie

Appel du cardinal de Rangoun à revoir les lois « sur la race et la religion »

Publié le 14/09/2015




Dix jours après la ratification de la quatrième loi sur la « protection de la race [birmane] et de la religion [bouddhiste] », le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, a fustigé ces textes et les conditions dans lesquelles ils ont été adoptés. Avec d’autres responsables chrétiens, il craint en effet …

… que l’entrée en vigueur de ces lois ne divise davantage la nation birmane qui peine à s’unifier tant les identités ethniques et religieuses dans le pays sont marquées.

« Ces quatre lois sont le résultat de la haine, a vivement critiqué l’archevêque de Rangoun, dans un message daté du 10 septembre. Nous exhortons nos dirigeants et nos représentants élus à revoir ces lois, qui peuvent se révéler dangereuses et engendrer davantage de conflits pour les décennies à venir. » Créé cardinal en février dernier, Charles Maung Bo a pour habitude de s’exprimer sans détour sur les questions religieuses et ethniques qui agitent fortement son pays, à majorité bouddhiste. A la fois virulent et prudent, l’archevêque de Rangoun ne pointe pas du doigt ceux qu’il critique dans ses messages. Dans sa dernière déclaration, il ne cite donc pas Ma Ba Tha, un acronyme birman désignant le Comité pour la protection de la race et de la religion. C’est ce groupe de bonzes extrémistes, très antimusulmans, qui a participé à la rédaction des quatre textes en question, et a fait pression pour obtenir leur adoption avant les élections du 8 novembre prochain.

Dès mi-2013, Ma Ba Tha collectait des centaines de milliers de signatures dans les villes de Birmanie, afin de promouvoir une première loi restreignant les mariages interreligieux. A cette époque, le groupe de bonzes radicaux soutenait que des organisations musulmanes payaient leurs fidèles pour épouser des femmes bouddhistes et les convertir à l’islam. Ma Ba Tha estimait dès lors qu’il fallait se protéger contre un prétendu expansionnisme de la communauté musulmane, qui, selon les estimations, représente moins de 5 % de la population birmane. Adopté fin août, le projet de loi oblige les non-bouddhistes à se convertir au bouddhisme pour épouser un ou une bouddhiste.

Ma Ba Tha a ensuite développé ses réseaux afin de disposer de relais dans les institutions politiques. Certains députés sont très proches du groupe. Une deuxième loi permettant aux administrations locales de refuser ou d’approuver les demandes de conversion après avoir entendu les arguments des postulants, a ainsi pu être déposée au Parlement. Il est à craindre que les autorités, majoritairement composées de fonctionnaires bouddhistes, empêchent ainsi les fidèles bouddhistes de se convertir à d’autres religions.

La troisième loi oblige les femmes à espacer les naissances d’au moins trois ans, dans les régions où la natalité est forte. Cette disposition est clairement destinée à restreindre le nombre des naissances dans la communauté musulmane rohingya, à l’ouest de la Birmanie. Les extrémistes bouddhistes sont en effet persuadés que la croissance démographique de cette minorité est exponentielle.

Enfin, la quatrième loi prohibe la polygamie. Le texte contient également des dispositions complémentaires, qui, de facto, criminalisent les relations sexuelles hors mariage entre adultes consentants. Une peine maximale de sept ans d’emprisonnement est prévue pour les contrevenants.

Depuis plus de deux ans, de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, la députée d’opposition Aung San Suu Kyi ainsi que les Eglises chrétiennes se sont élevées contre cette série de lois, contraires à la liberté de religion, au respect de la vie privée ainsi qu’aux droits des femmes. Elles craignent que ces nouvelles obligations permettent aux autorités d’opprimer davantage les minorités religieuses de Birmanie. Les chrétiens ne se sentent pas particulièrement visés, mais ils s’inquiètent du fait que l’application de ces prescriptions attise les conflits entre groupes religieux.

Depuis 2012, les communautés bouddhistes et musulmanes s’affrontent régulièrement. De simples rumeurs peuvent déclencher des heurts importants. « Nous avons besoin de paix. Nous avons besoin de réconciliation. Nous avons besoin d’une identité commune, celle de citoyens d’une nation porteuse d’espoir, a confié Mgr Charles Bo. Mais ces quatre lois semblent avoir sonné le glas de cet espoir. » Plus tôt, d’autres responsables chrétiens avaient aussi fait part de leur forte inquiétude après l’adoption de ces lois au Parlement, à l’instar de Saw Hlaing Bwar. « Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’il y ait des conflits religieux au cas où des minorités ethniques répondent avec colère à la provocation et à la propagande », avait déclaré le professeur protestant de théologie à l’agence Ucanews.

La méthode utilisée pour l’adoption de ces lois irrite également. « Le Parlement a été contraint par un groupuscule religieux de [les] adopter, ce qui est de nature à briser le rêve d’unification de notre pays, s’inquiète encore le cardinal. Le fait que ces quatre lois n’aient pas été élaborées par des représentants élus du peuple du Myanmar, mais par un groupuscule en dehors des institutions, constitue un précédent dangereux pour [notre] démocratie naissante. »

Ces derniers mois, Ma Ba Tha est devenu un groupe de pression très influent, capable de faire plier le gouvernement rien qu’en menaçant d’organiser des manifestations. A deux mois des élections législatives, le mouvement s’est doté d’outils de communication modernes, notamment d’un site Internet, pour le moment uniquement en langue birmane. Le groupe espère mettre sur pied prochainement une station de radio.

L’archevêque de Rangoun appelle le peuple à se mobiliser et à relayer son appel. De manière fort habile, il se fait lui-même le défenseur des valeurs bouddhistes, comme pour montrer que Ma Ba Tha les met en péril. « Le peuple (…) doit résister à tout effort destiné à ternir l’image immaculée du bouddhisme et de son message universel d’amour », indique le cardinal catholique. Pour l’instant, son message n’a pas déclenché de réactions importantes sur les réseaux sociaux, pourtant largement utilisés en Birmanie pour attaquer et insulter ceux qui critiquent les extrémistes bouddhistes.

(eda/rf)