Eglises d'Asie – Chine
Rare allègement de peine pour le membre d’un mouvement chrétien qualifié de secte
Publié le 13/11/2015
Condamné à sept ans de prison pour appartenance à une « secte pernicieuse » (xiejiao) en 2013, Lai Yiwa a vu sa peine réduite de six mois, d’après la Fondation Dui Hua, association basée aux Etats-Unis qui défend les prisonniers politiques et religieux.
« Cet allègement de peine constitue le premier signe de clémence connu pour un membre de l’Eglise du Dieu tout-puissant au Guangdong, depuis le début de la campagne contre les groupes religieux interdits lancée en décembre 2012 », a annoncé la fondation, qui rencontre régulièrement les autorités chinoises pour demander la grâce de prisonniers de conscience.
La réduction de peine a eu lieu en août dernier, mais n’a été rendue publique que ce 10 novembre par Dui Hua, rapporte l’agence Ucanews. Jusqu’ici, aucun membre de ce mouvement religieux n’avait reçu la clémence de la justice chinoise, d’après Dui Hua.
En Chine, seuls le bouddhisme, le taoïsme, l’islam, le protestantisme et le catholicisme sont reconnus, tous les mouvements religieux devant s’enregistrer auprès de l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses. Les groupes religieux indépendants, c’est-à-dire non affiliés à l’une des cinq religions officiellement reconnus, sont facilement qualifiés de « sectes ».
En 2012, les autorités chinoises ont lancé une vaste campagne de lutte contre les mouvements religieux non enregistrés, mais celle-ci a gagné en intensité après un fait divers sanglant l’année dernière. Dans un restaurant McDonalds’, des membres de la communauté du ‘Dieu tout-puissant’ (Quan neng shen, soit mot à mot ‘l’Esprit tout-puissant’), aussi appelée ‘l’Eclair de l’Orient’ (Dongfang Shandian), s’en étaient pris à une jeune mère apparemment parce qu’elle aurait refusé de leur donner ses coordonnées, alors qu’ils cherchaient à la recruter ; les six personnes l’avaient ensuite battue à mort en l’accusant d’être un démon.
Ce meurtre a particulièrement choqué en Chine, d’autant que la télévision nationale a diffusé un extrait de la vidéosurveillance du restaurant qui avait enregistré le passage à tabac. La campagne contre les « sectes » a alors redoublé d’intensité. Deux des participants au lynchage de la jeune femme ont été condamnés à mort en février de cette année.
En 2012 déjà, plus d’un millier de membres de la communauté avaient été arrêtés pour « diffusion de rumeurs », parce qu’ils distribuaient des tracts prédisant la fin du monde en 2012. Interdite depuis 1995, la communauté du Dieu tout-puissant compterait un million de membres, principalement dans les campagnes chinoises. Elle a été créée dans les années 1980 par Zhao Weishan, un homme qui assurait que Jésus était revenu sur terre sous les traits de son épouse, Yang Xiangbin. Le couple a émigré aux Etats-Unis depuis. Leur mouvement s’oppose au Parti communiste chinois, qu’il présente comme une organisation maléfique, le « Grand dragon rouge ». La communauté s’est en parfois pris à des groupes chrétiens, tentant des les convertir à leur culte en s’attaquant à ce qu’on appelle les Eglises domestiques, ces groupes chrétiens, le plus souvent protestants, qui existent en-dehors de toute affiliation aux instances officielles.
Mais certains défenseurs des droits de l’homme redoutent que les autorités chinoises profitent de la lutte contre les sectes pour s’attaquer également à des cultes inoffensifs.
Fin octobre, le leader d’un mouvement bouddhiste, Wu Zeheng, a ainsi été condamné à la prison à vie pour viol et escroquerie. Il a été reconnu coupable d’avoir poussé plusieurs jeunes femmes à coucher avec lui en leur promettant des « pouvoir surnaturels », et d’avoir extorqué de l’argent à des fidèles en leur faisant croire que leurs problèmes allaient ainsi être résolus. Quatre autres membres du groupe ont été condamnés à quatre ans de prison pour escroquerie.
Son mouvement, Huazang Dharma, l’a défendu sur son site Internet (bloqué en Chine), disant qu’il n’était qu’un leader religieux faisant face à des accusations montées de toute pièce. Ils ont reçu le soutien des Etats-Unis : la Commission parlementaire américaine sur la liberté religieuse dans le monde affirme que Wu Zeheng et ses fidèles sont victimes de persécution en raison de leurs croyances religieuses.
En Chine aussi, certaines voix s’élèvent pour remettre en cause le bien-fondé de cette campagne anti-sectes. Teng Biao, avocat chinois qui a notamment défendu des membres du Falungong, estime ainsi que la campagne est « inextricablement connectée à la répression qui touche les religions en général ». Parce que « les croyances religieuses sont une attaque contre les positions athéistes des responsables du gouvernement », explique-t-il dans une interview à la chaîne américaine ABC.
Dans les années 1990, le mouvement Falungong, d’inspiration bouddhiste, avait été la cible des autorités après son interdiction. Aujourd’hui, comme à cette époque, des banderoles de propagande écrites en caractères blanc sur fond rouge sont apparues sur les murs, proclamant : « Croyez à la science, créez de la culture, et luttez contre les sectes néfastes ! » Les défenseurs des droits de l’homme craignent que les mouvements religieux non enregistrés reçoivent un traitement similaire. Comme pour le Falungong, de simples tracts retrouvés chez des membres supposés de la communauté du Dieu tout-puissant ont suffi à faire condamner des dizaines de personnes à plusieurs années de prison.
Les autorités regardent avec méfiance ces mouvements dès lors qu’ils remettent en cause le bienfondé de la République populaire et la légitimité du Parti communiste. L’histoire chinoise fournit aussi des épouvantails au gouvernement actuel. Au milieu du XIXe siècle, la sanglante révolte des Taiping avait été lancée par Hong Xiuquan, un illuminé qui prétendait être le frère du Christ. Quelques années après avoir croisé un missionnaire chrétien, il avait commencé à prêcher un christianisme complètement réinventé. La révolte et sa répression avaient duré quinze ans et fait entre 20 et 30 millions de morts.
(eda/sp)