Eglises d'Asie – Pakistan
Interdiction du travail des enfants : une nouvelle loi pour rien ?
Publié le 27/01/2016
… ouvertement leur crainte de voir ce texte, qui n’est pas le premier du genre, rester lettre morte.
Le travail des enfants, parfois très jeunes – dès l’âge de 4 ans – dans les briqueteries du pays est une réalité ancienne et bien documentée. Pour le seul Pendjab, la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des supérieurs majeurs catholiques du Pakistan estime que 2,2 millions de personnes travaillent dans ces briqueteries. Or, l’une des particularités de l’économie des briqueteries est de reposer sur le quasi-esclavage auquel sont réduits leurs employés. Au Pakistan, la pratique qui voit des pauvres s’endetter pour se trouver pieds et mains liés à leur employeur est en principe interdite par la loi, mais ce cercle vicieux est fréquent. Le plus souvent, cet état de quasi-esclavage devient héréditaire, les parents n’ayant pas les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école. Pour changer d’employeur, les chefs de famille n’ont d’autre recours que de rembourser leur dette en empruntant auprès d’un nouvel employeur auprès duquel ils se trouvent à nouveau en situation de dépendance. Dans le pays, on les appelle « les piliers de la construction » ; ils fabriquent des briques du matin au soir pour nourrir le secteur du bâtiment et la croissance économique du pays.
Selon la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des supérieurs majeurs, les chrétiens sont absolument surreprésentés parmi les travailleurs des briqueteries. Alors qu’au plan national, les chrétiens ne représentent que 1,5 % des 182 millions de Pakistanais, au Pendjab, principalement dans les districts qui entourent les deux grandes villes de Lahore et de Faisalabad, on constate qu’environ 40 % des personnes employées dans les briqueteries sont des chrétiens. Une réalité tragiquement rappelée en novembre 2014 lorsqu’un jeune couple de chrétiens, parents de trois enfants et elle étant enceinte de leur quatrième, avait été accusé de blasphème et était mort brûlé vif dans un four de la briqueterie qui l’employait.
Cette année, le gouvernement du Pendjab se veut exemplaire dans la lutte contre le travail des enfants dans les briqueteries. Une ordonnance, intitulée « Prohibition of Child Labor at Brick Kilns Ordinance 2016 », a été publiée et les propriétaires de briqueterie ont été appelés à faire preuve de « patriotisme », afin, a déclaré le 25 janvier le porte-parole du gouvernement provincial, d’élever « le niveau de vie des travailleurs des briqueteries en favorisant l’éducation des enfants et en éliminant le recours au travail des enfants ». Le porte-parole a ajouté que les propriétaires ne devaient pas se mettre en grève pour dénoncer l’ordonnance en question, étant donné que cette dernière avait été rédigée en coordination avec l’Association des propriétaires de briqueterie. Il a aussi précisé que, depuis la mise en œuvre de l’ordonnance, début janvier, les autorités avaient procédé à des contrôles dans 2 517 briqueteries et que plus de 500 cas de recours au travail d’enfants avaient été mis en évidence, ce qui a entraîné le dépôt de 498 plaintes contre des propriétaires de briqueterie, à l’arrestation de 472 d’entre eux et à la fermeture d’office de 201 briqueteries. La province du Pendjab a également annoncé un plan de financement pour scolariser les enfants surpris au travail dans ces briqueteries, leurs parents devant désormais recevoir une allocation mensuelle de 2 000 roupies (17,50 euros) pour scolariser leurs enfants. Le porte-parole a ajouté que si l’ordonnance faisait diminuer le travail des enfants dans les briqueteries, d’autres textes seraient élaborés pour s’attaquer au travail des enfants dans d’autres domaines (employés de maison, travail dans les usines, dans les restaurants, etc.).
Pour Aslam Pervez Sahotra, du Masiha Millat Party Pakistan, un parti politique chrétien, si l’action des autorités est « bienvenue », il reste à voir si le gouvernement agira vraiment dans la durée pour lutter contre le travail des enfants. Il cite notamment deux textes de loi, contre le servage en 1992 et pour l’instruction obligatoire en 1994, qui n’ont rien changé à l’organisation du travail dans les briqueteries. « Le servage continue à avoir cours dans les briqueteries et des enfants sont contraints d’y travailler, en violation de tous les traités internationaux et des droits de l’homme, dénonce Aslam Pervez Sahotra. Des milliers de chrétiens y travaillent de génération en génération, victimes du piège de l’endettement. » Membre de la coalition au pouvoir, le Masiha Millat Party continuera toutefois à soutenir le gouvernement au pouvoir au Pendjab.
A l’agence Ucanews, Hyacinth Peter, secrétaire exécutif de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Commission des supérieurs majeurs, confie que l’ordonnance témoigne de la volonté du gouvernement du Pendjab de faire changer les choses mais il note que le fait d’avoir associé les propriétaires de briqueterie à la rédaction de ce texte a contribué à réduire sa portée effective. « Nous travaillons à la défense des droits des travailleurs des briqueteries depuis 2004 et nous militons pour le droit à l’éducation de leurs enfants », témoigne-t-il, mais en 2014, un projet similaire du gouvernement n’a entraîné aucune évolution concrète : les enfants, après avoir été un temps scolarisés, sont rapidement retombés victimes du système de servage qui lie leurs parents aux propriétaires des briqueteries.
(eda/ra)