Eglises d'Asie – Birmanie
Dans l’Etat karen, un bonze construit des stupas à proximité de lieux de culte chrétiens et musulman
Publié le 04/05/2016
… premier stupa. Aujourd’hui, l’édifice est terminé, toujours debout. Pour le moment, le nouveau gouvernement n’a pas pris de mesure concrète pour empêcher l’érection des deux autres monuments.
Le 23 avril dernier, plusieurs centaines de partisans du moine bouddhiste U Thuzana, également nommé Myaing Kyee Ngu Sayadaw, sont arrivés dans l’enceinte de l’église anglicane du village Kondawgyi avec des sacs de ciment, des briques et des outils. Ils ont édifié un stupa, un monument bouddhique à l’architecture élancée, sur le terrain appartenant à cette église de l’Etat karen, à l’est de la Birmanie. La communauté chrétienne du village s’est étonnée de ces travaux. Elle n’en avait pas été informée. Les locaux affirment que les relations entre les communautés bouddhiste et chrétienne sont tout à fait paisibles dans leur bourg, et ce depuis de nombreuses années.
Appel au calme de l’archevêque anglican
« U Thuzana écoute son cœur, qui lui commande de construire des pagodes, expliquait la semaine dernière un disciple du moine dans la presse birmane. Bien sûr, il y a des critiques qui le condamnent. Mais notre bonze essaie simplement de concrétiser ses rêves. » U Thuzana n’a pas expliqué ses motivations à la presse.
La communauté chrétienne de Kondawgyi a essayé d’arrêter les travaux. Certains dignitaires religieux locaux ont tenté de dialoguer avec le moine bouddhiste afin de le dissuader de mener à bien son projet. En vain. L’édification décidée unilatéralement a tout de même été accueillie avec beaucoup de tolérance. L’archevêque anglican de Hpa An, la capitale de l’Etat karen, a notamment appelé au calme. « Je voudrais vous demander, chrétiens de l’Etat karen, de ne pas nourrir de rancune ni de haine, et de ne pas répondre, mais de faire preuve de bienveillance, de compassion et de détachement », a précisé Mgr Saw Stylo sur sa page Facebook.
U Thuzana est un personnage très influent dans l’Etat karen. Aujourd’hui âgé de 73 ans, le bonze est en fait le père spirituel de la Democratic Karen Buddhist Army (DKBA), un groupe ethnique armé qu’il a lui-même contribué à fonder en 1994. A cette époque, l’organisation rebelle de l’ethnie karen qui se battait pour davantage d’autonomie s’est divisée en deux mouvements. La plupart des combattants bouddhistes se sont désolidarisés de leurs frères chrétiens, les accusant de position dominante et de violence, et ils ont créé DKBA. U Thuzana a largement inspiré cette séparation. DKBA s’est ensuite rapprochée de la junte militaire, alors au pouvoir. L’armée rebelle s’est transformée en une force garde-frontières. En octobre dernier, elle a signé un accord de cessez-le-feu avec le gouvernement et l’armée birmane, aux côtés de sept autres groupes rebelles. U Thuzana semble toujours actif et respecté dans la région. Des combattants portant l’uniforme de DKBA ont participé à l’érection du stupa à Kondawgyi.
Un moine constructeur
Le moine a une longue expérience de la construction de lieux de culte bouddhiques. Un article paru en 2010 dans The Irrawaddy, un journal birman longtemps exilé en Thaïlande, le crédite de l’édification de 70 pagodes dans l’Etat karen. Deux jours après avoir lancé le chantier à Kondawgyi, le 25 avril dernier précisément, U Thuzana récidivait, cette fois aux abords d’une mosquée du village de Shwegon, toujours dans l’Etat karen. Les travaux se sont déroulés en pleine nuit, se terminant vers 3 h du matin. D’après des témoins cités par le site Internet de la télévision Democratic Voice of Burma, la police s’est rendue sur les lieux et elle s’est contentée de photographier la scène.
En septembre dernier, U Thuzana avait fait élever un autre stupa dans l’enceinte de l’église baptiste du village karen de Mi Zine. La communauté chrétienne avait alors alerté les autorités. Elle avait obtenu l’assurance du ministre des Affaires religieuses que les travaux seraient stoppés. « Mais le stupa n’a pas été détruit, même si les villageois se sont plaints et qu’ils ont confié leur crainte d’un conflit religieux », explique à Eglises d’Asie Eh Thaw, coordinatrice pour l’association Karen Human Rights Group.
Des autorités civiles absentes
Depuis fin avril, les autorités semblent se renvoyer la balle pour gérer le différend. Le ministre des Affaires religieuses de l’Etat karen a demandé à un comité formé de moines bouddhistes de régler la question. Ils ont refusé. Inquiet d’être accusé de soutenir les minorités chrétiennes et musulmanes s’il faisait respecter la loi à la lettre, le ministre s’est ensuite tourné vers le gouvernement central de Naypyidaw, saisi le 26 avril dernier. « A ce stade, il n’y a eu aucune décision pour empêcher les constructions », regrette Eh Thaw. Elle souhaiterait que le bonze, les communautés chrétiennes et musulmanes ainsi que les autorités se rencontrent pour trouver une solution concertée. « Le nouveau gouvernement est faible. Il ne fait rien. C’est pourtant un sujet important et sensible », renchérit un défenseur karen des droits de l’homme, qui préfère ne pas dire son nom pour critiquer le gouvernement pro démocratique qui a pris ses fonctions le 1er avril dernier.
Ailleurs dans le pays, de nombreuses communautés religieuses minoritaires ont du mal à faire respecter leurs lieux de culte. Dans l’Etat chin, situé à l’ouest du pays, et à majorité chrétienne, « treize croix ont été démolies depuis 1994, dont quatre sous le gouvernement réformateur d’U Thein Sein entre 2011 et 2016, relate Salai Za Uk Ling, directeur des programmes pour l’association Chin Human Rights Organization. Des pagodes et des stupas ont été élevés à leur place. » Il précise que ces calvaires ont été détruits lorsque l’actuel ministre des Affaires religieuses Thura U Aung Ko officiait qu’en tant qu’adjoint au ministre sous le précédent gouvernement des anciens militaires. L’homme, élu dans une circonscription de l’Etat chin, est l’un des rares membres du gouvernement actuel issu du précédent. Il n’appartient pas à la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, vainqueur aux dernières élections législatives. Il est issu des rangs de l’USDP, la formation des anciens militaires. « Nous ne sommes pas satisfaits de sa nomination au gouvernement », regrette Salai Za Uk Ling, qui plaide pour une réforme du ministère birman des Affaires religieuses, afin qu’il n’ait plus pour mission la promotion de la religion majoritaire en Birmanie, le bouddhisme.
(eda/rf)