Au programme : visites d’édifices reproduisant la mosquée bleue d’Istanbul, le Taj Mahal, joyau de l’art islamique en Inde, ou encore un « Palace Doré » bâti sur le modèle d’une « mosquée », des noms de rues en arabe et, pour se divertir, un spectacle son et lumière « version chinoise » inspiré du conte des Milles et Une Nuits, s’appuyant sur le fait qu’Aladin, le héros, est né en Chine. Pour une expérience encore plus « immersive et authentique », le visiteur peut s’habiller en habits traditionnels musulmans, en déboursant quelques yuans au magasin de souvenirs du parc d’attraction. Pour visiter l’intérieur d’une « mosquée », il est proposé aux femmes de revêtir une abaya, ce vêtement ample, noir le plus souvent, qui ne laisse apparent que les pieds et les mains ; l’article du quotidien chinois ne dit pas si elles sont invitées à porter le niqab, voile couvrant tout le visage sauf les yeux.
Le Ningxia, la région des Huis
L’implantation du parc d’attraction, à Yinchuan, ne doit rien au hasard. La « Région autonome hui du Ningxia », une des provinces les plus petites et les moins peuplées du pays avec ses 6,3 millions d’habitants, abrite une bonne part de la minorité des Huis de Chine populaire. Ces derniers, des Han musulmans (1), parlent le mandarin et l’attitude du pouvoir à leur égard contraste avec celle réservée aux Ouighours et autres minorités musulmanes de l’extrême ouest chinois, au Xinjiang. Pour les musulmans du Xinjiang, la méfiance des autorités à leur égard se traduit par de nombreuses mesures discriminatoires : interdiction de port de vêtements traditionnels musulmans jugés extrémistes, restriction des pratiques liées au Ramadan, arrestations pour suspicion de terrorisme et de liens avec l’organisation Etat islamique.
Au Ningxia, les autorités tentent de développer la région comme un pôle d’attractivité et une porte d’entrée du monde arabe en Chine. La « World Muslim City » est ainsi entourée d’hôtels et de palais des congrès destinés à accueillir commerçants et investisseurs. Par ailleurs, le fait que le parc d’attraction soit construit au Ningxia plutôt qu’au Xinjiang a sans doute à voir avec une volonté de parer à tout risque terroriste potentiel ainsi qu’avec le désir de mettre en avant les musulmans Huis sinophones plutôt les musulmans turcophones du Xinjiang.
Depuis quelques années, la Chine fait cependant l’objet de critiques à l’étranger pour sa gestion des musulmans, notamment des Ouighours, qui ressentent vivement l’implantation massive de « colons » Hans sur leurs terres. En 2015, la Turquie a publiquement dénoncé la politique chinoise envers les musulmans de Chine, déclaration qui, à Istanbul, avait entraîné des actes de vandalisme contre des établissements chinois. En décembre dernier, l’organisation Etat islamique a mis en ligne un texte chanté dans un mandarin parfait pour appeler les musulmans de Chine, sans distinguer entre Hans et Huis, à se réveiller pour mettre fin à des siècles de sujétion.
La stratégie d’expansion chinoise dans le monde arabe
Selon certains observateurs, ce projet de « Disneyland musulman » s’inscrit dans la volonté de Pékin d’améliorer ses relations avec le monde arabe, à l’heure où les liens économiques entre la Chine et cette région du monde vont croissant. Avec un tel parc d’attraction arabo-musulman, la Chine souhaite montrer au monde arabe qu’il existe entre les deux univers une histoire et une culture partagées.
En janvier 2016, le président Xi Jinping a publié un document intitulé « La politique arabe de la Chine », sur la nouvelle approche chinoise et ses ambitions. Ses premiers voyages de l’année ont été menés en Egypte, en Iran et en Arabie saoudite. Et la Chine devrait prochainement signer un accord de libre-échange avec le Conseil de coopération du Golfe (dont est membre l’Arabie saoudite).
Pour autant, selon certains analystes, « le projet de la World Muslim City, le plus cher et le plus pharaonique de la région, n’a pour l’instant pas encore réussi à susciter l’enthousiasme des touristes arabes ». L’aéroport de Yinchuan a néanmoins prévu de construire un terminal supplémentaire pour accueillir les musulmans du monde entier et des vols directs en provenance d’Amman, en Jordanie, et de Kuala Lumpur, en Malaisie, seront prochainement ouverts.
(eda/nfb)