Eglises d'Asie

Dans l’Arakan, le gouvernement local menace de détruire des mosquées et des écoles coraniques

Publié le 03/10/2016




Les autorités de l’Etat de l’Arakan ont promis de démolir plus de trois mille bâtiments, dont plusieurs édifices religieux, qui auraient été construits sans autorisation dans un township à majorité musulmane. Cette annonce divise à nouveau les communautés musulmane et bouddhiste dans cette région frontalière …

… du Bangladesh, en proie à des violences interreligieuses récurrentes.

Aucune destruction n’a encore eu lieu, mais les autorités ont déjà commencé à dénombrer les bâtiments voués à la démolition. D’après le Bureau de l’immigration de Maungdaw, cité par le quotidien birman Myanmar Times, douze mosquées, trente-cinq écoles coraniques et plus de trois mille habitations et magasins devraient être démantelés dans ce township de l’ouest de la Birmanie. Les autorités de Maungdaw sont les premières, dans l’Etat de l’Arakan, à passer en revue les constructions sur le territoire du township, pour décider de leur devenir. D’autres localités de la région doivent ensuite faire de même. « Les démolitions vont être mises en œuvre par la loi, pas par la force », a expliqué le colonel Htein Lin, ministre de la Sécurité et des Affaires frontalières de l’Etat de l’Arakan. La justice devrait être saisie pour décider du sort des édifices. D’après le ministre, le nombre de bâtiments construits sans permission est en forte augmentation à Buthidaung et Maungdaw, deux townships à majorité musulmane. Il souhaite y mettre un terme. Dans l’Etat de l’Arakan, 35 % des 3,2 millions d’habitants sont de confession musulmane, d’après le recensement de 2014.

« Des structures religieuses qui posent un problème de sécurité »

L’annonce de ces futures démolitions a été justifiée par des raisons de sécurité. Depuis mi-2012, d’importantes tensions opposent les Arakanais, une minorité bouddhiste, aux Rohingyas, musulmans, dans l’Etat de l’Arakan. Ces violences ont obligé plus de cent mille personnes, principalement des musulmans, à fuir leurs villages. Apatrides, considérés en Birmanie comme des immigrés bangladais, ils vivent aujourd’hui dans des conditions misérables dans des camps de déplacés, la plupart autour de la capitale régionale, Sittwe. Dans cette ville, la majorité des mosquées sont à l’abandon depuis les violences de 2012 et la fuite des musulmans vers la périphérie de la cité. Certaines sont gardées par des policiers qui en interdisent l’accès aux journalistes étrangers.

« La démolition est une bonne chose, confie à Eglises d’Asie U Oo Hla Saw, député à la chambre basse pour le Parti national arakanais (ANP). Beaucoup de mosquées et de madrasas [écoles coraniques] ont été construites illégalement sous le régime militaire [avant 2011], partout, à tous les coins de rue. » Membre du comité central de l’ANP, formation politique connue pour ses prises de position extrémiste, le député estime que ces structures religieuses posent un problème de sécurité. « Les musulmans y crient leur prétendue identité rohingya », critique-t-il. Les Arakanais considèrent que l’ethnie rohingya n’existe pas en tant que telle et qu’elle a été inventée de toute pièce pour permettre aux immigrés bangladais de réclamer des droits sur le sol birman. Toute suspicion d’activité politique de la part de Rohingyas est considérée comme terroriste. « Ces écoles coraniques sont la source de revendications illégales. Elles sont devenues des places fortes du programme politique de ces prétendus Rohingyas », accuse sans détours U Oo Hla Saw. Il préconise la destruction pure et simple de ces lieux, plutôt que leur contrôle éventuel. Il estime par ailleurs que les madrasas de l’Arakan offrent une éducation de mauvaise qualité, qui se résume souvent à l’apprentissage par cœur des versets du Coran. « On est très loin de l’enseignement moderne et adapté à une culture démocratique », complète-t-il.

U Oo Hla Saw craint cependant que la destruction programmée de mosquées et madrasas ne ravive des tensions dans sa région. Car des communautés bouddhistes et musulmanes s’affrontent sporadiquement dans l’Arakan, et même au-delà des frontières de cet Etat. Le 23 juin dernier, dans la région centrale de Bago, une mosquée a été gravement endommagée par un groupe de plusieurs centaines de personnes. A l’origine du saccage, une dispute qui avait éclaté au sujet de l’édification d’un bâtiment religieux dans l’enceinte de la mosquée. Une semaine plus tard, une salle de prière musulmane a été mise à sac dans l’Etat kachin, le plus septentrional du pays. D’après la presse birmane, les autorités n’ont procédé à aucune arrestation suite à ces dégradations violentes.

Un profond climat de méfiance

Fin août, le gouvernement birman a annoncé la création d’une commission chargée de proposer des solutions au conflit arakanais. Elle est présidée par l’ancien secrétaire général des Nations Unies et prix Nobel de la paix, Kofi Annan. Deux autres diplomates étrangers siègent également aux côtés des six commissaires birmans. L’annonce de cette nouvelle institution consultative a provoqué la colère de l’ANP et de nombreuses associations arakanaises, qui estiment que la communauté internationale n’a pas à se mêler au conflit entre Arakanais et Rohingyas. « Les Arakanais ont peur que la commission examine les problèmes dont souffrent les Rohingyas, notamment les restrictions de déplacement et l’impossibilité d’accéder à l’éducation et aux services de santé. Ils sont frustrés. Alors ils réagissent en retour, en menaçant de détruire nos mosquées », accuse pour sa part Myo Thant, responsable de l’information pour le Parti des droits de l’homme et de la démocratie, formation composée en majorité de musulmans. Son analyse est révélatrice du climat de méfiance qui règne entre les deux communautés. La moindre annonce est considérée comme une vengeance ou une manœuvre politique visant à jeter de l’huile sur le feu.

Abu Tahay, un Rohingya qui dirige à Rangoun le Parti pour le développement national de l’Union (UNDP), convient que l’éducation dispensée dans les madrasas de l’Arakan n’est pas de bonne qualité. « Les enseignants sont mal formés sur le plan religieux et les étudiants, à leur sortie, ne sont pas capables de trouver un emploi qualifié », détaille-t-il. Mais il s’insurge contre la solution radicale qui consisterait à raser ces écoles. Pour lui, l’enseignement prodigué dans les madrasas n’est pas à la hauteur car les professeurs n’ont pas la possibilité de se former. Sans papiers, les Rohingyas n’ont pas accès à l’université de Sittwe, pourtant presque visible depuis les camps de déplacés musulmans voisins. Dans ces cantonnements déshérités, les écoles primaires et secondaires sont soutenues par des ONG internationales mais elles sont de piètre qualité. Il n’y a pas d’élite rohingya capable d’assurer de solides formations religieuses et académiques pour la communauté.

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(eda/rf)