Eglises d'Asie

Quand la discrimination envers les minorités s’affiche jusque dans les offres d’emploi…

Publié le 22/03/2017




Si le recensement en cours de la population pakistanaise va permettre à l’Etat et aux démographes de dénombrer les quelque 200 millions d’habitants du Pakistan, il fournira aussi quantité d’informations sur la population de ce pays, notamment quant aux emplois occupés par chacun. La parution ces jours-ci …

… dans un journal local d’une offre d’emploi pour des balayeurs laisse apparaître en toutes lettres que la discrimination dont les minorités religieuses font l’objet au Pakistan s’étend jusque dans le domaine du travail.

Le 17 mars dernier, un journal en ourdou, diffusé dans le district de Bannu, situé à 300 km au sud-ouest de la capitale Islamabad, au cœur de la province de Khyber Pakhtunkhwa, a publié une petite annonce pour le compte de l’administration locale. L’offre d’emploi portait sur le recrutement de balayeurs, hommes ou femmes, et il était précisé que les personnes intéressées devaient être de religion hindoue, chrétienne ou chiite. Face au tollé soulevé par le caractère ouvertement discriminatoire de l’annonce, les responsables de l’administration en question ont corrigé leur texte et spécifié que le terme de « chiite » s’était glissé par erreur dans l’annonce, mais ils ont maintenu que les balayeurs recherchés devaient bien être « préférablement » de religion chrétienne ou hindoue.

pakistan - annonce.jpg

L’annonce parue le 17 mars 2017 dans un journal en ourdou du district de Bannu : l’offre d’emploi pour un job de balayeur s’adresse uniquement aux membres des minorités religieuses. (Ucanews Photo Service)
 

« Une discrimination caractérisée et répétée »

Dans un pays où les musulmans représentent 97 % de la population (dont 11 à 12 % de chiites), les minorités chrétienne (2,1 % de la population) et hindoue (1,3 % de la population) sont non seulement en butte à une persécution fondée juridiquement sur les lois anti-blasphème mais à des discriminations sociales profondément ancrées. Ainsi, pour les chrétiens, si une petite minorité éduquée a accès à un niveau de vie satisfaisant, la très grande partie de la communauté se situe tout en bas de l’échelle sociale : journaliers pour les paysans sans terre des campagnes, balayeurs, éboueurs, vidangeurs pour ceux qui habitent au sein des grands centres urbains.

Secrétaire exécutive de la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse catholique de Multan, au Pendjab, Hyacinth Peter dénonce « la discrimination caractérisée et répétée » que reflètent les offres d’emploi « réservées aux minorités religieuses » publiées par les administrations pakistanaises. « La Compagnie de traitement des ordures ménagères de Faisalabad [au Pendjab] a fait paraître un peu plus tôt dans l’année une annonce pour recruter des travailleurs en bonne santé ; il était précisé que l’annonce s’adressait à des non-musulmans. L’an dernier, nous avons envoyé une plainte en bonne et due forme à l’Hôpital Nishtar de Multan après la publication d’une annonce similaire », précise Hyacinth Peter à l’agence Ucanews. « Nous condamnons ce type d’annonces et nous demandons aux autorités de Bannu de faire paraître une nouvelle offre d’emploi ne faisant pas mention d’une appartenance religieuse particulière », poursuit la responsable catholique, qui précise que « si les balayeurs et éboueurs non musulmans sont préférés, c’est parce qu’ils sont plus facilement exploitables ». « Un tel état d’esprit est néfaste et nous nous devons d’éveiller les consciences », affirme-t-elle encore.

Des discriminations historiquement et socialement profondément ancrées

Au Pakistan, la communauté chrétienne (2,6 millions de personnes selon le recensement de 1998) est formée, dans son écrasante majorité, par des descendants de castes-tribus de personnes opprimées et exclues ayant trouvé dans le christianisme une identité nouvelle leur offrant la dignité et l’émancipation qui leur avaient été refusées pendant des millénaires. Du fait de leur histoire et de leur expérience presque exclusive d’« intouchabilité », d’oppression et de déshumanisation, ils sont encore aujourd’hui cantonnés dans les « 3D Jobs » (Dirty, Dangerous and Demeaning – sale, dangereux, dégradant). C’est ainsi que dans la province du Pendjab, où vivent les trois quarts des chrétiens du Pakistan, les emplois d’éboueurs, balayeurs de rues, vidangeurs, nettoyeurs d’égouts sont le plus souvent « réservés » à des chrétiens. Dans la province voisine du Sind, ce sont les hindous qui occupent en très grande majorité ces professions. Au total, dans le pays, pas plus de 5 % des éboueurs et autres professions assimilées sont de confession musulmane.

pakistan - égouts.jpg

Les emplois ‘sales, dangereux et dégradants’ sont en grande partie « réservés » aux chrétiens et aux hindous, ainsi qu’aux chiites. (photo World Watch Monitor)
 

Le sort de la chrétienne Asia Bibi (Aasiya Noreen de son vrai nom) est à cet égard emblématique : arrêtée en 2009 puis condamnée à mort au titre des lois anti-blasphème, elle clame son innocence et affirme que son seul crime a été de boire de l’eau dans un récipient « réservé » aux musulmanes, elle qui était considérée comme « intouchable » par les femmes qui partageaient pourtant son sort d’ouvrière agricole.

Dans une étude publiée en 2013 par l’ONG World Watch Monitor, l’universitaire pakistanais Salamat Akhtar explique que la très forte proportion de chrétiens parmi les balayeurs s’inscrit aussi dans l’histoire contemporaine du pays : lors de la partition de 1947, des centaines de milliers de personnes ont traversé la frontière nouvellement érigée entre le Pakistan et l’Inde. Avant la partition, au Pendjab, la plupart des chrétiens travaillaient comme ouvriers agricoles pour des propriétaires terriens sikhs. Lors de la partition, hindous et sikhs ont fui le Pakistan pour l’Inde et, dans l’autre sens, des musulmans ont afflué au Pakistan. « Au moins 50 000 foyers chrétiens ont perdu leur emploi au Pendjab pakistanais quand les terres des sikhs ont été données à des migrants musulmans. Paysans sans terre, journaliers sans emploi, ils ont afflué dans les villes comme Lahore, Multan ou Faisalabad où ils ont pris les emplois dont personne d’autre ne voulait », précise l’universitaire, en ajoutant que le gouvernement a ensuite « délibérément poursuivi une politique qui a consisté à maintenir les chrétiens dans ces métiers, où ils sont depuis cantonnés ».

Toujours selon le rapport de World Watch Monitor, à Peshawar, sur 935 employés de la municipalité travaillant dans l’assainissement des voieries, 824 sont des chrétiens et ces derniers maugréent contre les 111 autres employés – des musulmans – qui « ne font rien et leur laissent tout le travail à faire ». A Lahore, la Société de traitement des ordures compte environ 6 000 chrétiens sur un total de 7 894 employés. A Quetta, au Baloutchistan, 768 des 978 balayeurs employés par la municipalité sont des chrétiens. Outre les administrations publiques et locales, les entreprises privées tendent elles aussi à n’employer que des chrétiens ou des hindous pour les tâches les plus ingrates.

Afin de contribuer à la promotion sociale de ces travailleurs déconsidérés, les Eglises chrétiennes travaillent à leur formation (très nombreux parmi eux sont les analphabètes) par leur éducation et par celle de leurs enfants, ainsi qu’à la défense de leurs droits.

(eda/ra)