Eglises d'Asie

Le groupe extrémiste bouddhiste Ma Ba Tha très affaibli mais prêt à renaître en parti politique

Publié le 31/05/2017




Après son interdiction de facto par le clergé bouddhiste, le groupe de bonzes radicaux connu sous le nom de Ma Ba Tha essaie de se réorganiser pour continuer à exister et « protéger la race [birmane] et la religion [bouddhiste] ». Il n’a cependant pas pu convier, fin mai, ses membres au grand rassemblement initialement prévu …

… pour fêter ses quatre années d’existence. L’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi il y a un an a beaucoup affaibli Ma Ba Tha.

Officiellement, Ma Ba Tha n’existe plus, quand bien même ses membres songent à transformer l’organisation pour lui donner une nouvelle apparence, cette fois-ci légale. Vont-ils créer une fondation ? Ou un parti politique ? Les deux options semblent envisagées. « Notre nom n’est pas ce qu’il y a de plus important, a expliqué U Par Mauk Kha, un des moines bouddhistes qui dirigent Ma Ba Tha, dans un article publié par le site de la télévision Democratic Voice of Burma (DVB). Je veux que Ma Ba Tha poursuive longtemps son travail. Le plus important, c’est que Ma Ba Tha existe en tant qu’organisation indépendante qui œuvre pour la protection de la race et de la religion, sans lien avec le gouvernement, les partis politiques ou d’autres organisations. »

Vers la transformation de Ma Ba Tha en parti politique ?

Les 26 et 27 mai derniers, Ma Ba Tha, un acronyme birman qui signifie l’Association pour la protection de la race et de la religion, a décidé de se transformer en une fondation, la Fondation Buddha Dhamma Parahita. Le groupe présente souvent ses activités sous un angle caritatif. Il a pour habitude de mettre en avant son assistance aux victimes de catastrophes naturelles et son rôle de guide dans la société puisqu’il prétend prêcher l’enseignement de Bouddha.

D’autres membres laïcs de Ma Ba Tha souhaitent quant à eux entrer officiellement dans l’arène politique. « Nous allons fonder un parti politique que nous nommerons ‘Les 135 patriotes unis’ », a confié Maung Thway Chon, un membre du mouvement, au site d’information The Irrawaddy. L’homme a expliqué la signification du nombre qui apparaît dans le nom du parti qu’il souhaite fonder : le chiffre un représente Bouddha ; le trois, Bouddha, le Dhamma (son enseignement) et la Sangha (le clergé bouddhiste) ; le cinq, les cinq vénérables entités (Bouddha, Dhamma, Sangha, les parents et les professeurs). Ma Ba Tha a toujours été inspiré par les chiffres. Avant sa formation en 2014, le groupe se faisait appeler 9-6-9 (1). Le nombre 135 retentit par ailleurs de manière toute particulière en Birmanie : il correspond au nombre d’ethnies officiellement reconnues par la Constitution du pays, un sujet très controversé puisque les extrémistes bouddhistes manifestent régulièrement pour s’opposer à l’ajout de nouveaux groupes dans la liste. Ils refusent ainsi catégoriquement que les Rohingyas, qui forment une minorité musulmane apatride à l’ouest de la Birmanie, soient reconnus et inclus parmi les prétendants à la nationalité. Le choix du nom du parti n’est sans doute pas étranger à cette référence.

Quoi que devienne Ma Ba Tha, le mouvement est aujourd’hui extrêmement affaibli. Le clergé bouddhiste l’a officiellement désavoué. Le couperet est tombé le 23 mai dernier. Ce jour-là, quarante-sept vénérables bonzes de Ma Ha Na, la plus haute autorité du clergé bouddhiste de Birmanie, se sont réunis. Ils ont conclu que Ma Ba Tha était une organisation illégale et que l’utilisation publique du nom du groupe extrémiste était désormais interdite. Ils ont exigé que tous les panneaux ou pancartes portant le sigle soient retirés avant le 15 juillet. Ma Ha Na a demandé au ministère des Cultes d’appliquer la directive. Une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement est prévue pour ceux qui ne s’y conformeraient pas. Ma Ba Tha est de fait interdit.

Auparavant très virulents, les dirigeants du groupuscule ont semblé accepter la sentence avec docilité. Dans un communiqué, Ma Ba Tha a expliqué que « la décision n’[était] pas en accord avec les principes de base de la Sangha. Mais Ma Ba Tha accepte la décision parce qu’il ne souhaite pas que l’unité de la Sangha soit affectée ».

Complaisance des militaires envers le Ma Ba Tha

Avant 2016, le gouvernement des anciens militaires avait laissé au groupe une grande marge de manœuvre. Rares étaient les hommes politiques qui osaient alors s’opposer à Ma Ba Tha. Le dirigeant emblématique du mouvement, le moine U Wirathu, prêchait partout dans le pays des thèses racistes, très anti musulmanes. Il attirait les foules. En janvier 2015, il déclarait par exemple : « Je ne veux pas que la Birmanie disparaisse de la carte du monde. Ceux qui essaient de faire disparaître la Birmanie, ce sont les prétendus Rohingyas, ces menteurs du Bangladesh. » Puis, devant une foule en furie, le moine listait ses « ennemis », au premier rang desquels figuraient l’Union européenne et l’ONU, et notamment l’envoyée spéciale des Nations Unies pour les droits de l’homme en Birmanie, que le bonze avait alors grossièrement insultée.

Pendant la campagne des élections législatives de novembre 2015, Ma Ba Tha a pris parti pour l’USDP, la formation politique des anciens militaires. L’USDP s’est effondré dans les urnes. La Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti de celle qui est ensuite devenue conseillère d’Etat, Aung San Suu Kyi, a remporté une victoire écrasante. Ma Ba Tha est tombé de haut. Depuis, le groupe a perdu beaucoup d’influence. Et certains hommes politiques ne craignent plus de marquer leur distance vis-à-vis du mouvement. U Phyo Min Thein, le gouverneur de la région de Rangoun, a officiellement critiqué Ma Ba Tha en juillet dernier. Il a même mis en question l’existence du mouvement.

Ces derniers mois, Ma Ba Tha a semblé perdre de sa popularité. Le 10 mars dernier, U Wirathu avait été interdit de prêcher pour un an. Le moine s’est ensuite distingué en organisant des rassemblements publics au cours desquels il demeurait muet, un morceau de bande adhésive collé sur la bouche, pour protester contre ce jugement.

Un groupe de militants bouddhistes modérés a ensuite lancé une pétition pour demander à la Sangha de « juger si les actions d’U Wirathu relevaient du dhamma [les enseignements de Bouddha] ou du adhamma, son contraire », rapporte DVB. Ces militants ont collecté des signatures dans plusieurs quartiers populaires de Rangoun.

Puis, début mai, plusieurs bonzes extrémistes se sont illustrés par leur implication dans des violences entre bouddhistes et musulmans à Rangoun. Ces moines avaient renseigné la police au sujet de la prétendue présence, dans des immeubles, de Rohingyas qui ne disposaient pas des papiers requis pour séjourner dans la plus grande ville du pays. Après vérification, la police n’a rien trouvé de suspect, mais des heurts ont ensuite éclaté entre des bouddhistes extrémistes et des habitants du quartier. La police avait dû tirer en l’air pour rétablir l’ordre. Deux bonzes sont toujours recherchés par la police.

(eda/rf)