Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Rencontre des évêques sri-lankais avec le pape François

Publié le 10/05/2014




Le pape François a reçu samedi 3 mai les évêques du Sri Lanka menés par le cardinal Malcolm Ranjith, archevêque de Colombo, à l’occasion de leur visite ad Limina apostolorum au Vatican.Le Saint-Père, qui devrait se rendre au Sri Lanka vers le milieu du mois de janvier 2015, a selon la délégation épiscopale « redonné espoir » à l’Eglise qui est au Sri Lanka.

Selon l’évêque de Mannar, Mgr Rayappu Joseph, le pape a l’intention de visiter, outre l’archidiocèse de Colombo, les diocèses du nord du pays, les plus durement frappés par la guerre civile, et qui subissent encore l’occupation militaire ainsi qu’une forte répression de la part des autorités représentant la majorité cinghalaise et bouddhiste.

Mgr Thomas Emmanuel, évêque de Jaffna, a rapporté à l’agence Fides le 6 mai, que chaque évêque avait pu présenter son diocèse et les difficultés rencontrées au Saint-Père. Un exercice pour le moins diplomatique, l’Eglise catholique au Sri Lanka souffrant, comme l’ensemble de la société de l’île, des mêmes incompréhensions entre populations cinghalaise et tamoule. Des différents médiatiques entre l’archevêque de Colombo, Mgr Ranjiith, et certains prélats de la partie tamoule du Sri Lanka, tel Mgr Rayappu Joseph, ont révélé au grand jour ces divisions qui donnent au discours du pape François un caractère d’urgence presque comminatoire. « Nous devons absolument devenir ces ferments d’unité et de réconciliation entre les Tamouls et les Cinghalais : c’est notre rôle en tant qu’Eglise », affirmait ainsi, à l’issue de la rencontre du 3 mai, l’évêque de Jaffna. « Nous avons également demandé au Saint-Père d’user de son prestige et de son influence morale pour demander au gouvernement de trouver une solution politique qui ramènerait l’harmonie et l’égalité au sein de la société », concluait-il.

Le discours du pape François adressé aux évêques du Sr Lanka le 3 mai 2014 a été traduit par la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Chers frères évêques,

C’est une grande joie pour moi de vous accueillir ici, à l’occasion de votre visite ad Limina Apostolorum, qui vous permet de renouer la communion avec le Successeur de Pierre et de réfléchir sur la vie de l’Église au Sri Lanka. Je remercie le cardinal Ranjith pour les chaleureuses paroles de salutation qu’il m’a adressées de votre part et de la part de tous vos fidèles. Je vous prie de leur transmettre mes salutations ainsi que l’assurance de mon amour, de ma solidarité et de ma sollicitude. Je garde le souvenir ému de ma récente rencontre dans la Basilique Saint-Pierre de membres de cette communauté du Sri Lanka en pèlerinage à Rome pour fêter le 75e anniversaire de la consécration de votre pays à la Vierge Marie. J’ai l’espoir, mes chers frères, que ces journées de réflexion et de prière pourront confirmer votre foi et la reconnaissance de tous les dons que vous avez reçus du Christ, en tant que prêtres, hommes et femmes consacrés, ainsi que fidèles laïcs.

J’aimerais maintenant partager avec vous quelques réflexions sur ce trésor, qui est au cœur de notre vie dans l’Église et de notre mission envers la société, et dont nous avons vu si clairement la beauté et la richesse durant l’Année de la foi. Notre foi et les dons que nous avons reçus ne doivent pas être enfouis en nous mêmes, mais au contraire et s’exprimer dans notre vie quotidienne. Quant à notre votre vocation, elle doit être « le levain parmi les hommes proclamant et annonçant le Salut de Dieu offert au monde, une vocation qui souvent se perd, a besoin d’être encouragée, de retrouver l’espérance et sa force sur son chemin » (Evangelii gaudium, 114). Le Sri Lanka en particulier a besoin de ce levain. Après de nombreuses années de combats et d’effusions de sang, la guerre s’est enfin achevée dans votre pays.

L’aube d’un nouvel espoir s’est levée tandis que la population cherche maintenant à reconstruire sa vie et sa communauté. Pour répondre à cela, vous avez essayé, par votre récente lettre pastorale « Vers la réconciliation et la reconstruction de notre Nation », à rejoindre tous les Sri-lankais par un message prophétique inspiré de l’Évangile et destiné les accompagner dans leurs épreuves.

Bien que la guerre soit terminée, vous soulignez avec justesse qu’il reste beaucoup de travail à faire pour promouvoir la réconciliation, faire respecter les droits de l’homme à l’égard de toutes les populations et surmonter les tensions ethniques qui persistent. J’aimerai me joindre à vous pour adresser un message de réconfort tout particulier à tous ceux qui ont perdu des proches pendant la guerre ou ne savent pas ce qu’il leur est advenu. Vous souvenant de l’appel de saint Paul à porter les fardeaux les uns des autres (cf. Ga 6,2), puissent vos communautés, rester fermes dans la foi, et demeurer proches de ceux qui sont dans le deuil et souffrent encore des conséquences de la guerre.

Comme vous l’avez exprimé, les catholiques du Sri Lanka désirent contribuer, en collaboration avec les membres de la société, au travail de réconciliation et de reconstruction. Une telle contribution nécessite la promotion de l’unité. En effet, alors que le pays cherche son chemin vers la réunification et la réconciliation, l’Église se trouve dans une position unique pour offrir une image vivante d’unité dans la foi puisqu’elle a la bénédiction de compter en son sein à la fois des Cinghalais et des Tamouls.

Dans les paroisses et les écoles, à travers des projets sociaux et dans d’autres institutions ecclésiales, les Cinghalais et les Tamouls ont ainsi la possibilité de vivre, d’étudier, de travailler et de prier ensemble. À travers ces organisme, et surtout à travers les paroisses et les missions, vous pouvez également connaître en profondeur les inquiétudes et les peurs des gens, en particulier la fait qu’ils peuvent se retrouver marginalisés et en attitude de méfiance les uns envers les autres. Les fidèles, connaissant les problèmes qui peuvent causer des tensions entre les Cinghalais et les Tamouls, peuvent ainsi créer un climat de dialogue afin de construire une société plus juste et plus équitable.

Une autre importante contribution que peut apporter l’Église à la reconstruction du pays est son œuvre caritative, qui manifeste le visage miséricordieux du Christ. La Caritas Sri Lanka doit être remerciée pour l’aide qu’elle a apportée après le tsunami de 2004 et pour ses efforts au service de la réconciliation et de la reconstruction après la guerre, spécialement dans les régions les plus touchées et dans des domaines aussi variés que l’éducation, les soins de santé et l’assistance aux pauvres. Alors que le pays connaît un développement économique croissant, ce témoignage prophétique de service et de compassion est d’autant plus important ; il montre que les pauvres ne doivent pas être oubliés et qu’il ne faut pas laisser se développer les inégalités. Au contraire, votre ministère et votre action doivent permettre d’oeuvrer à l’intégration de chacun dans la société, parce que « tant que ne seront pas éliminées l’exclusion et la discrimination au sein de la société et entre les peuples, il restera impossible d’éradiquer la violence » (Evangelii gaudium, 59).

Le Sri Lanka est un pays riche non seulement d’une grande diversité ethnique, mais aussi de différentes traditions religieuses ; ceci souligne l’importance du dialogue interreligieux et œcuménique afin d’encourager la connaissance mutuelle et l’enrichissement par l’échange. Vos efforts dans ce sens sont louables et ont porté du fruit. Ils permettent à l’Église de collaborer plus facilement avec les autres afin de garantir une paix durable et d’assurer la liberté pour l’Eglise de poursuivre ses propres buts, en particulier dans l’éducation des jeunes dans la foi et le témoignage d’une vie chrétienne.

Le Sri Lanka a cependant vu la montée d’un extrémisme religieux qui, en encourageant une fausse conception de l’unité nationale fondée sur la simple identité religieuse, a créé des tensions par différents des actes d’intimidation et de violence. Bien que ces tensions menacent les relations interreligieuses et œcuméniques, l’Église au Sri Lanka doit continuer fermement à rechercher des alliés pour la paix et des interlocuteurs pour le dialogue. Des actes d’intimidation affectent aussi la communauté catholique, et il est donc plus que jamais nécessaire de fortifier les fidèles dans leur foi. Les initiatives de l’Église, telles que le développement de petites communautés centrées sur la Parole de Dieu ou l’encouragement de la piété populaire, sont d’excellents moyens d’assurer les croyants de la proximité du Christ et son Eglise.

Dans cette tâche importante qui consiste à transmettre la foi et à promouvoir la réconciliation et le dialogue, vous êtes aidés en premier lieu par vos prêtres. Je me joins à vous pour rendre grâce à Dieu pour les nombreuses vocations sacerdotales qu’il a suscitées parmi les fidèles au Sri Lanka. Il est certain que les nombreux prêtres autochtones qui servent le peuple de Dieu sont une grande bénédiction et le fruit des graines semées par les missions il y a longtemps. Pour que vos prêtres soient de véritables pasteurs au service de l’Eglise, je vous exhorte à être attentifs à leur formation humaine, intellectuelle, spirituelle et pastorale, non seulement pendant les années de séminaire, mais aussi tout au long de leur vie donnée. Soyez comme des pères pour eux, attentifs à leurs besoins et présents dans leur vie, reconnaissant qu’ils exercent souvent leur ministère dans des conditions difficiles et avec des ressources limitées. Avec vous, je les remercie pour leur fidélité et leur témoignage, et je les appelle à une sainteté encore plus grande par la prière et la conversion quotidienne.

Je me joins encore à vous pour remercier Dieu tout-puissant pour le ministère et le témoignage des hommes et des femmes consacrés, ainsi que tous les laïcs qui soutiennent par leur service l’apostolat de l’Église et vivent avec foi leur vie chrétienne. En collaboration avec les prêtres et en communion avec vous, en tant que pasteurs de l’Eglises locale, ils manifestent la puissance sanctifiante du Saint-Esprit qui transforme l’Église et fait de nous tous un levain pour le monde. Leur vocation est cruciale pour l’évangélisation, et prend une importance constante, en particulier dans les vastes communautés rurales où dans le domaine de l’éducation, on manque souvent de catéchistes formés. Puisque le ministère de l’évêque n’est jamais exercé de façon isolée, mais toujours avec tous les baptisés, je vous encourage à continuer d’assister les fidèles en reconnaissant leurs dons et en les mettant au service de l’Église.

Enfin, j’apprécie vos efforts pour être des pasteurs de la famille, cette « cellule fondamentale de la société, où l’on apprend à vivre ensemble malgré nos différences, et à se déposséder de soi, … mais aussi où les parents transmettent la foi aux enfants » (Evangelii gaudium, 66). La prochaine Assemblée ordinaire du synode des évêques aura la famille pour sujet et cherchera des voies nouvelles et créatives pour permettre à l’Église de soutenir ces petites Eglises domestiques. Au Sri Lanka, la guerre a laissé de nombreuses familles déplacées, et frappées par la mort de ceux qu’elles aimaient. Beaucoup ont perdu leur emploi et bon nombre de familles ont donc été séparées tandis que les conjoints devaient quitter leur foyer pour trouver du travail.

Il y a aussi le grand défi de l’accroissement des mariages mixtes, lesquels exigent une attention particulière pour ce qui est de la préparation mais aussi de l’aide à apporter à ces couples dans l’éducation à la foi de leurs enfants. En étant attentifs à nos familles et à leurs besoins, en comprenant leurs difficultés et leurs espoirs, nous fortifions le témoignage de l’Église et la proclamation de l’Évangile. Et en soutenant l’amour et la fidélité conjugales, nous aidons les fidèles à vivre leur vocation librement et joyeusement, et nous permettons à de nouvelles générations de s’ouvrir à la vie du Christ et de son Eglise. Vos efforts pour soutenir les familles ne sont pas seulement une aide apportée à l’Église, mais un soutien offert à la société sri-lankaise tout entière, tout particulièrement dans ses efforts de réconciliation et d’unité. Je vous exhorte donc à vous montrer encore plus vigilants sur cette question et à travailler avec les autorités gouvernementales et avec les responsables des autres religions afin que soient protégées l’importance et la dignité de la famille.

C’est avec ces sentiments, mes chers frères, que je vous confie à l’intercession de Notre Dame de Lanka (1) et que je vous accorde de tout cœur ma bénédiction apostolique, ainsi qu’à vous tous très chers prêtres, hommes et femmes consacrés, ainsi que laïcs du Sri Lanka.

(eda/msb)