Eglises d'Asie

Victory Day : les Tamouls empêchés de commémorer leurs victimes de la guerre civile

Publié le 20/05/2014




Il y a cinq ans, le 18 mai 2009, les Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) déposaient les armes, vaincus par l’armée sri-lankaise, à l’issue d’une bataille sanglante dénoncée par les Nations Unies comme un « bain de sang pour les civils ». 

Comme chaque année depuis la fin du plus long conflit séparatiste d’Asie, deux visions radicalement opposées s’affrontent, ravivant les blessures entre les deux ethnies, tamoule et cinghalaise.

Pour le gouvernement sri-lankais, il s’agit de fêter avec faste et ostentation la « Victoire sur le Mal ». Pour les Tamouls du Nord de l’île, il s’agit de commémorer une tragédie qui a fait des milliers de morts civils, dont un très grand nombre d’enfants et de femmes, piégés avec les rebelles et massacrés avec eux dans la dernière phase du conflit (2).

En dépit du discours officiellement rassurant sur « la nécessité de la réconciliation », l’oppression des populations tamoules du nord du pays par le gouvernement cinghalais et bouddhiste se poursuit, laquelle devient particulièrement visible lors des « célébrations nationales de la victoire ». Les années précédentes, les Tamouls avaient eu les plus grandes difficultés à célébrer leurs propres rites religieux, hindous et chrétiens, à la mémoire des victimes de la guerre, se heurtant aux interdictions et aux menaces d’emprisonnement des autorités locales.

Ce 18 mai 2014, le gouvernement de Mahinda Rajapakasa a pris les devants, avertissant la population de l’île qu’aucune commémoration organisée par la communauté tamoule ne serait autorisée. Seules les célébrations d’Etat, validées par le ministère de l’Armée, marqueraient les « fêtes de la Victoire », lesquelles s’étaleraient du 16 au 19 mai, culminant le dimanche 18 mai, jour de la reddition des Tigres tamouls.

« Le gouvernement ne se soucie pas de notre malheur », confie sous le couvert de l’anonymat, à l’agence AsiaNews, un prêtre catholique tamoul. « C’est pourtant notre droit de pouvoir nous souvenir de ceux qui nous sont chers et qui sont morts dans ce conflit. » Par cette attitude, Colombo ne fait que prolonger « le climat de peur et d’oppression qui pèse sur toute une partie de la population du pays, forcée de vivre en bunkers », ajoute-t-il.

Dimanche 18 mai s’est déroulée à Matara, dans l’extrême sud du pays où Mahinda Rajapaksa est particulièrement populaire, la Victory Day Parade, qui ouvre depuis cinq ans les cérémonies commémoratives du gouvernement sri-lankais. Comme à l’ordinaire, les vétérans blessés de guerre dans leurs chaises roulantes étaient, en tant que « héros de la patrie », en tête du défilé militaire qui comprenait toutes les unités de l’armée, et leurs armements depuis les chars d’assaut jusqu’aux hélicoptères.

« Nous ne célébrons pas la victoire dans une guerre mais la victoire de la paix », a lancé le président sri-lankais, dans son discours adressé à la nation. Mais, marque de la désapprobation internationale, peu de représentants de pays étrangers étaient présents dans la tribune officielle émaillée de robes orangées de bonzes. Le président sri-lankais est actuellement sommé par les Nations Unies d’accepter une enquête sur « les violations des droits de l’homme et crimes de guerre » commis sur son territoire durant le conflit avec les Tigres tamouls.

Alors que se déroulaient les festivités dans le sud du pays, des unités de l’armée sri-lankaise avaient été dépêchées dans les provinces tamoules afin de prévenir toute commémoration publique ou « cérémonie dans les temples ou les églises ». Les militaires et les forces de l’ordre ont bloqué les rues dans les villes où des marches commémoratives étaient prévues, et érigé des barrages devant les principaux lieux de culte, ainsi que les sièges des médias et des partis politiques. Malgré la censure qui sévit actuellement au Sri Lanka, des journalistes se sont élevé contre cette répression brutale (2). L’éditeur de l’Uthayan Newspaper à Jaffna, Saravanabavan, a dénoncé notamment lundi 19 mai l’érection de barricades devant le temple hindou de Naguleswaram afin « d’empêcher tout rituel de commémoration des victimes de la guerre ».

Plusieurs jours avant le Victory Day, des célébrations « préparatoires » se sont tenues dans toutes les localités perçues par Colombo comme des bastions des Tigres tamouls. Ainsi, rapporte TamilNet, les habitants du nord de l’île ont dû assister à plusieurs cérémonies de « remerciements » organisées par les autorités, envers les familles des soldats cinghalais morts au combat. Quant aux étudiants et aux professeurs de l’université de Jaffna, ils ont été forcés à prendre des congés pour assister aux « festivités nationales » du 16 au 21 mai, certains ayant même été menacés de mort s’ils ne s’y rendaient pas.

Le site d’informations de la diaspora tamoule a également diffusé de nombreuses photos et vidéos des affrontements entre les forces de l’ordre et des groupes de Tamouls qui tentaient, malgré les interdictions, de rendre hommage à leurs morts. Sur l’une d’entre elles, on voit des policiers sri-lankais fouler aux pieds les fleurs et les lampes déposées par les familles des victimes devant le siège du Northern Provincial Council (NPC) de la région de Vanni, où s’est déroulée la phase la plus tragique de la guerre civile.

Un membre du Tamil National Alliance Northern Provincial Council explique qu’il avait prévu de distribuer du matériel scolaire et des chaussures aux enfants déshérités à cette occasion, mais que cela lui avait été refusé par les autorités. « La réconciliation est un mythe, dit-il. Le gouvernement veut totalement ignorer toutes ces veuves qui se battent pour survivre avec leurs enfants. »

Outre les menaces et les interdictions, le Victory Day a également été marqué pour les populations tamoules par les humiliations infligées par les forces de l’ordre, qui, dans de nombreux lieux de culte, ont voulu ridiculiser les cérémonies à la mémoire des morts. Des soldats sont ainsi entrés dans le temple hindou Kanthasaami pour singer les familles et les membres officiels de la communauté qui venaient y effectuer un rituel d’offrandes.

Mais quelques groupes téméraires ont cependant réussi à se rassembler, à la nuit tombée dans certains lieux de culte. L’évêque catholique de Jaffna, Mgr Thomas Emmanuel, a encadré une veillée de prière dans sa cathédrale, malgré les menaces et les tentatives des militaires pour interrompre la célébration à plusieurs reprises. De même, des groupes de fidèles hindous ont également réussi à se rendre dans les temples de Kanthasaami et de Veera-maa-kaa’li pour y présenter leurs offrandes et effectuer les rituels pour leurs défunts.

(eda/msb)