Eglises d'Asie

Le projet d’adaptation cinématographique par Martin Scorsese du roman Silence refait surface

Publié le 14/10/2014




C’est un article du Vatican Insider, repris par l’hebdomadaire La Vie, qui donne l’information : le réalisateur américain Martin Scorsese semble proche de faire aboutir un projet qui lui tient à cœur depuis des années, à savoir l’adaptation au cinéma du roman Silence (Chinmoku), l’un des romans les plus connus du célèbre romancier japonais Shusaku Endo. …

… En mars 2009, Eglises d’Asie faisait état d’un projet en ce sens de Martin Scorsese et le film devait sortir en 2010. A l’évidence, ce projet a connu du retard, et l’arrivée sur les grands écrans de cette adaptation semble cette fois-ci en bonne voie. Elle est annoncée pour fin 2015 et des acteurs comme Liam Neeson et Andrew Garfield figurent au générique.

Le tournage a commencé le mois dernier, non pas au Japon mais à Taiwan, pour des raisons de coût, indique la production. Mais ce dépaysement du tournage des îles japonaises vers Formose a été l’occasion d’associer au film Kuangchi Program Services (KPS), la maison de production audiovisuelle des jésuites à Taiwan.

Comme conseiller scientifique, le réalisateur américain s’est également attaché les services du jésuite anglais et professeur d’histoire du Japon à l’université de Tokyo et de San Francisco, Antoni Üçerler. « Le roman s’écarte de la réalité historique, mais tous deux (le roman et son adaptation cinématographique) s’intéressent au séisme provoqué par l’arrivée des chrétiens au Japon. Ils pénétrèrent une société très codée, hiérarchisée. La fidélité des chrétiens à un Dieu transcendant fut source de panique pour les autorités. Leur foi attaqua les bases mêmes de la société de cette époque », analyse le P. Antoni Üçerler.

Selon Vatican Insider, le roman Silence offre à Martin Scorsese l’occasion d’approfondir un thème récurrent dans son œuvre, à savoir l’affrontement du bien et du mal. A la fin des années 2000, de passage au Japon, Martin Scorsese avait pris le temps de visiter le Musée d’histoire et de culture de Nagasaki, où sont notamment exposées des fumie. Les fumie (de fumi ‘marcher sur’ et de e, ‘image’) sont ces plaques de pierre, de métal ou de bois gravées, représentant le Christ en croix ou la Vierge Marie, que les personnes soupçonnées d’appartenir au catholicisme devaient piétiner afin de prouver qu’elles n’étaient pas des adeptes de la religion chrétienne.

Introduit au Japon en 1549 par saint François Xavier, le catholicisme a en effet connu une persécution particulièrement terrible à partir de 1587, avec un premier édit d’expulsion des missionnaires et, en 1614, l’interdiction du christianisme. Les martyrs catholiques japonais se comptèrent par dizaines de milliers. Le supérieur régional des jésuites, Christoforo Ferreira, un Portugais, fut ainsi arrêté en 1634. Sous la torture, il abjura et, peu après, adopta le nom japonais de Sawano pour se retrouver officiellement sous les ordres du gouverneur de Nagasaki. Sous le nom de Chûan, il lui servit d’interprète et d’informateur. A la fin de sa vie, il s’amenda, réintégra la Société de Jésus et mourut martyr vers 1653.

Dans Silence, il est ce missionnaire portugais qui devint apostat mais uniquement aux yeux des autres, gardant en lui, dans le secret de sa conscience, toute sa foi chrétienne. Ils furent des milliers de chrétiens à avoir été ainsi sauvagement torturés, mais gardant dans le fond de leur cœur leur foi chrétienne, confiant en la miséricorde de Dieu. Pour le jésuite Antoni Üçerler, le roman Silence est, entre autres choses, une méditation sur le fait que « même au milieu de l’apostasie, Dieu apparaît plus grand que toute trahison humaine ».

Né en 1923, mort en 1996, Shusaku Endo a été sans conteste le plus grand écrivain catholique du Japon. Baptisé à l’âge de 12 ans sous l’influence de sa mère, il n’avait jamais cessé, au fil de ses livres, de questionner sa foi catholique. Au Japon, le rayonnement de son œuvre dépasse de loin la seule communauté chrétienne. Par ses interrogations (la foi chrétienne peut-elle prendre racine en terre japonaise ?), par son approche de Dieu, par sa découverte d’un Christ pauvre et démuni, il fut, à sa manière et selon les termes du cardinal Shirayanagi, archevêque de Tokyo, « le meilleur missionnaire du christianisme que le Japon ait jamais eu ».

Avec une population de 127 millions de personnes, le Japon compte environ 1 % de chrétiens – dont 450 000 catholiques japonais. Le 24 novembre 2008, 188 martyrs japonais, victimes de ces persécutions du XVIIe siècle, ont été canonisés à Nagasaki.

Pour aller plus loin : Pierre Dunoyer, membre de la Société des Missions Etrangères de Paris, ancien missionnaire au Japon, vient de publier Shusaku Endo : 1923-1996, Un nouveau Graham Greene au Japon (éditions du Cerf, sept. 2014, Paris). Passionnante introduction aux œuvres de celui que Graham Greene présentait comme « le plus grand romancier de notre temps », cette étude reprend les interrogations qui étaient celles du romancier Endo (Y a-t-il une place pour le christianisme au Japon ? Que vaut la foi face à la douleur ? La lâcheté condamne-t-elle le croyant à une damnation éternelle ?). Pierre Dunoyer replace chacun de ses grands romans (traduits en français) et articles (non traduits) pour s’interroger, à la suite de ce romancier passionné de Péguy et de Bernanos, sur la manière dont le christianisme peut se faire accepter au Japon et pénétrer la culture de ce pays.

(eda/ra)