Eglises d'Asie

Le pape François donne à l’Eglise en Birmanie son premier cardinal, Mgr Charles Bo

Publié le 05/01/2015




Dimanche 4 janvier, lorsque le pape François a annoncé un consistoire pour la « création » de vingt nouveaux cardinaux, l’Eglise catholique en Birmanie a reçu le premier cardinal de son histoire. Quelques semaines après avoir célébré le cinquième centenaire de l’arrivée des premiers chrétiens dans le pays, l’actuel archevêque de Rangoun, …

… Mgr Charles Bo recevra la barrette et les insignes cardinalices le 14 février prochain, à Rome.

Agé de 66 ans, appartenant à la congrégation des salésiens, Mgr Charles Bo est une personnalité centrale de l’Eglise en Birmanie, cette Eglise qui compte environ 500 000 fidèles dans un pays de 51 millions d’habitants, très majoritairement bouddhistes. Outre le fait qu’il est issue d’une congrégation religieuse – et non des rangs du clergé diocésain –, Mgr Charles Bo présente la particularité d’appartenir, non à la communauté bamar (ou birmane), qui forme environ les deux-tiers de la population du pays, mais d’être né dans une famille de la minorité karen – minorité du sud et du sud-est du pays. En Birmanie, les chrétiens (catholiques comme protestants) forment environ 4 % de la population du pays et se trouvent principalement parmi les minorités ethniques qui peuplent les pourtours de la plaine centrale birmane.

Ordonné prêtre à l’âge de 27 ans, nommé à la tête de la préfecture apostolique de Lashio, dans l’Etat Shan dix ans plus tard, Mgr Charles Bo a été ordonné évêque en 1990 lorsque cette préfecture est devenue un diocèse à part entière. En 1996, il a été transféré dans le diocèse de Pathein, au sud-ouest du pays, tout en étant, un temps, l’administrateur apostolique de l’archidiocèse de Mandalay, avant d’être nommé archevêque de Rangoun en 2003.

C’est donc un évêque expérimenté, connaissant parfaitement les différentes facettes de l’Eglise de Birmanie qui devient cardinal. C’est aussi un évêque qui a exercé ses responsabilités dans le contexte de la transition en cours entre la junte militaire qui a dirigé le pays de 1962 à 2011 et qui, depuis cette date, se métamorphose en un régime plus libre et ouvert, dans l’attente des élections présidentielles qui auront lieu en décembre 2015.

Pour le P. Maurice Nyunt Wai, secrétaire de la Conférence épiscopale de Birmanie, « il y a un lien entre l’ouverture récente de notre pays sur un plan politique et le fait de recevoir un cardinal ». A l’agence Ucanews, le prêtre précise que la visibilité que donnera à l’Eglise locale ce nouveau cardinal permettra peut-être une normalisation pleine et entière des relations diplomatiques entre le Myanmar et le Saint-Siège – qui, pour l’heure, n’est représenté que par un « délégué apostolique » en résidence à Bangkok, en Thaïlande, et non par un nonce de plein exercice. Quant à la liberté religieuse, le prêtre rappelle que le 500ème anniversaire de la première présence catholique (des marchands portugais) dans le pays aurait dû être célébré en 2010, mais qu’à cette date, les restrictions édictées par la junte militaire étaient trop importantes ; il a donc fallu attendre 2014 et l’ouverture politique actuelle pour que l’Eglise puisse rassembler ses fidèles pour trois jours de célébrations et de festivités à Rangoun, les 21, 22 et 23 novembre derniers, autour de la cathédrale récemment rénovée.

Concernant l’un des grands dossiers encore non réglés par le régime en place, à savoir un plan de paix stable et définitif avec les différentes minorités ethniques encore en rébellion face au pouvoir central et la mise en place d’une architecture démocratique qui satisfasse à la fois la majorité birmane de la population et les minorités ethniques, certains dans l’Eglise estiment que le nouveau cardinal sera appelé à jouer un rôle. Concernant la question kachin, l’opposante Aung San Suu Kyi a, ces dernières années, consulté Mgr Charles Bo à plusieurs reprises déjà. Pour le P. Christopher Raj, directeur de Karuna (la Caritas locale) à Lashio, l’ensemble des acteurs en présence, que ce soit dans l’opposition ou au gouvernement, aurait tort de se priver des compétences et des contacts d’une personnalité de la stature de celle de Mgr Bo. « Il pourrait jouer un rôle majeur dans le processus de paix », se laisse aller à rêver le P. Raj.

Lundi 5 janvier, depuis Kalaymyo, Mgr Felix Lian Khen Thang, évêque de Kalay et président de la Conférence épiscopale, a déclaré que la nomination de Mgr Charles Bo au cardinalat venait « couronner l’activité missionnaire de l’Eglise en Birmanie ».

Ce dimanche 4 janvier, tandis qu’à Rome, le pape annonçait la nomination des nouveaux cardinaux, à Naypyidaw, capitale du pays, le président Thein Sein présidait un imposant défilé militaire à l’occasion du 67ème anniversaire de l’indépendance de la Birmanie. Signe des divisions que connaît le Myanmar, certaines personnalités, telles Aung San Suu Kyi ou bien encore Khun Htun Oo, de la Ligue pour la démocratie des nationalités Shan, étaient absentes des tribunes officielles.

Dimanche, Mgr Charles Bo était à Rangoun, en sa cathédrale. En septembre dernier, il avait fait paraître un texte dénonçant l’inaction des autorités en matière de lutte contre le trafic des êtres humains, fléau qui « couvre de honte la Birmanie ». Il y écrivait notamment les lignes suivantes : « Le nouveau Myanmar a échoué sur trois plans : construire l’Etat, construire la nation et construire la paix. Nous reconnaissons à leur juste valeur les efforts de ceux qui ont travaillé en vue d’un consensus sur ces questions, qu’ils fassent partie de l’Etat ou non. Mais un Etat qui ne peut assurer ni la vie ni la sécurité à ses citoyens les plus vulnérables, en leur permettant de préserver leur dignité, leur survie matérielle, une éducation de base et un avenir, a échoué dans son devoir envers son pays. »

Un peu auparavant, alors que le pouvoir flirtait dangereusement avec les sentiments nationalistes d’une partie de la majorité bouddhiste de la population, l’archevêque de Rangoun n’avait pas hésité à faire part de son inquiétude au sujet d’un projet de loi visant à « protéger la religion et la race » birmane. Il mettait en garde contre toute velléité de l’Etat de s’ingérer dans le droit des personnes à choisir librement et individuellement leur appartenance religieuse.

(eda/ra)