Eglises d'Asie – Chine
« La persécution religieuse exercée par les autorités chinoises est insidieuse »
Publié le 19/11/2015
… « un observateur de la Chine », son anonymat étant requis non pas vis-à-vis de Michel Chambon mais pour protéger son mode de présence auprès de l’Eglise qui est en Chine.
« Intéressant ce fait raconté par Michel Chambon ! Ce qui aurait pu paraître comme étant une mesure dirigée contre une Eglise chrétienne était, en réalité, une décision pleinement justifiée pour le bien des participants à des camps d’été destinés à des jeunes dans le sud de la Chine. On discerne également un désir authentique, de la part des autorités civiles, de favoriser les activités pour la jeunesse et de coopérer avec les organisateurs ! Ce n’est pas la première fois qu’on me signale de tels faits : il existe bien des gouvernements communistes régionaux qui savent se montrer compréhensifs et soucieux du bien commun en diverses circonstances, dans certaines provinces et, qui pour cela, qui méritent des éloges.
Le problème est la conclusion qu’en tire Michel Chambon : selon lui, les persécutions religieuses n’auraient pas de réalité mais ne seraient simplement que le produit d’interprétations malveillantes de gens qui accusent à tort le gouvernement chinois, pour le bénéfice de leur clan ou de leur organisation (conservateurs du gouvernement chinois, chrétiens chinois, groupes étrangers, etc.).
Première question que l’on peut se poser ici : le fait que rapporte l’auteur est-il monnaie courante en Chine ou est-il exceptionnel ? Remarquons qu’Eglises d’Asie dans une dépêche du 13 novembre 2015 prend la précaution de qualifier de « rare » l’allègement de peine dont a bénéficié un chrétien emprisonné en Chine, mais Michel Chambon ne s’avance pas avec la même prudence. De plus, il ne tient pas compte du fait que la liberté religieuse dont jouissent les citoyens chinois varie considérablement d’un endroit à l’autre. Or, justement, le sud de la Chine est réputé bénéficier de plus de liberté que le reste du pays.
Je suis prêt à reconnaître que certains chrétiens dramatisent le climat de persécution en Chine dans le but de passer pour des martyrs ou pour justifier leur exil dans les pays occidentaux. Mais ce n’est là qu’une infime partie des membres des Eglises chinoises. La grande majorité d’entre eux s’efforce de vivre sa foi de façon authentique, tout en évitant tout geste ou toute parole susceptible de provoquer la colère du gouvernement. Attention ! Car celui-ci est du genre ombrageux. Michel Chambon semble considérer que la démolition de 2 000 croix et de plusieurs églises dans la province du Zhejiang ne constitue pas un acte de persécution mais seulement une mesure administrative qui peut se justifier. Pourtant, on peut se demander ce qui a motivé les hauts responsables qui ont donné les ordres : le bien public ? Une laïcité à la chinoise ? Le désir d’empêcher les églises d’attirer trop de monde ? La volonté de rendre la vie des chrétiens plus difficile encore ?
Autre question qui se pose : qu’est-ce que la « persécution religieuse » ? Comment se manifeste-t-elle ? Michel Chambon ne semble pas être au clair sur ce sujet. Durant la Révolution culturelle (1966-1976), les chrétiens étaient pourchassés, tabassés et humiliés, on s’acharnait sur eux, on brûlait leurs livres et on les obligeait à commettre des actes contraires à leur foi. Aujourd’hui, la persécution a nettement baissé d’intensité et est plus discrète. Mais elle est aussi plus insidieuse ! Elle consiste en des mesures administratives qui restreignent considérablement la liberté des citoyens et, en particulier des croyants, car la censure est sans pitié en ce qui concerne les nouvelles touchant les religions (télévision, journaux, Internet). Les rares revues qui parlent de religion sont étroitement contrôlées par les associations patriotiques de croyants.
Mais n’oublions pas que la persécution consiste également en une discrimination subtile envers ceux qui adhèrent à une religion, dès lors qu’il s’agit pour eux, par exemple, de chercher du travail ou d’agir dans la société. Ils sont écartés des postes de responsabilité, leurs promotions professionnelles se font attendre plus que pour d’autres. Les organisations religieuses, diocèses, paroisses, mosquées, pagodes doivent demander sans arrêt des permissions avant de pouvoir mettre en œuvre leurs activités (ce qui favorise la corruption des cadres). Un de mes amis séminaristes a dû patienter plusieurs années avant d’être ordonné prêtre alors qu’il avait terminé ses études depuis longtemps. Dans les établissements scolaires, les jeunes, dans tout le pays, reçoivent une éducation athée. Les médias sont tous, sans exception, entre les mains du gouvernement. Et celui-ci a à cœur de former de nouveaux citoyens indemnes des « vieilleries » de l’ancien système, dont les religions.
La persécution engendre un climat de peur et de méfiance qui empoisonne la vie des communautés de croyants. On doit toujours être sur ses gardes et éviter de parler ouvertement aux autres de problèmes personnels ou de questions de foi. Cela favorise la formation de petits cercles fermés, entre gens qui se font confiance entre eux, mais qui se ferment, par précaution, à ceux de l’extérieur. Ainsi vivent les communautés souterraines, toujours dans la crainte d’être dénoncées. Michel Chambon a rencontré, d’après ce qu’il dit, des protestants épanouis qui n’ont pas peur de s’exprimer et de dialoguer avec les autorités locales, mais peut-il affirmer qu’il en est de même dans tout le pays ? Des évêques catholiques ont été obligés d’agir contre leur conscience : certains ont dû accepter leur ordination épiscopale sans l’accord du Saint-Siège, d’autres ont été forcés de concélébrer avec des évêques illégitimes ! Ces prélats ont ainsi perdu la confiance de leurs troupeaux !
Michel Chambon parle de l’« Eglise » au singulier, alors que les Eglises sont nombreuses sur le continent chinois et, surtout, elles sont divisées. Est-ce que la persécution religieuse ne concernerait que les chrétiens de Chine ? Il ne dit pas un mot des autres religions, qui sont pourtant largement majoritaires et qui sont également persécutées. Les musulmans du Xinjiang et les lamaïstes du Tibet font l’objet d’une surveillance étroite et d’une répression constante (Eglises d’Asie en a souvent rendu compte). Le Falungong, d’origine bouddhiste, est interdit dans tout le pays depuis 1999, sous prétexte qu’il serait dangereux pour l’équilibre mental de ceux qui le pratiquent. Mais à Taiwan et à Hongkong, où il est légal, on n’a pas constaté qu’il provoquait de quelconques dégâts chez les croyants.
Je reconnais que la liberté religieuse a fait de grands progrès en Chine depuis la fin de la Révolution culturelle, mais il faut immédiatement ajouter qu’il y a et qu’il y aura encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir parler de la Chine comme d’un « Etat de droit », un pays qui respecte la liberté religieuse de ses citoyens, un pays doté d’un gouvernement tolérant et juste. Ce n’est pas un hasard si, en mars 2014, de nombreux jeunes Taïwanais ont dit « non » à Pékin (mouvement des tournesols) et si, à la fin de cette même année, ce sont les étudiants de Hongkong qui ont rejeté les avances de Pékin, néfastes et malsaines, en matière de réformes électorales (Révolution des parapluies). »
Un observateur de la Chine
(eda/ra)