Eglises d'Asie – Pakistan
Deux chrétiens et un musulman condamnés à mort pour blasphème
Publié le 01/07/2016
… ses deux maîtres chanteurs, Javed Naz, chrétien, et Jaffar Ali, de religion musulmane.
Selon Asif Sindhu, le frère d’Anjum Sindhu, celui-ci aurait licencié Javed Naz qui travaillait dans un de ses établissements, pour fuite de copies confidentielles d’examens. Ce dernier se serait alors retourné contre lui avec l’aide d’un ami, Jaffar Ali, en lui réclamant 20 000 roupies (171 euros) contre un enregistrement audio, dans lequel Anjum Sindhu tiendrait des propos blasphématoires, lors d’un discours dans un établissement scolaire.
Anjum Sindhu a alors payé ses maîtres chanteurs, mais comme le chantage a continué – une somme supplémentaire de 50 000 roupies (428 euros) lui a de nouveau été demandée -, il aurait décidé de porter plainte pour extorsion de fonds, afin de mettre fin à ce chantage. D’après un proche de sa famille qui souhaite garder l’anonymat, « il aurait répondu aux attentes de ses maîtres chanteurs par peur de la mort pour lui et ses proches en cas d’accusation de blasphème, conscient qu’au Pakistan, on peut être condamné à mort pour blasphème, sans qu’aucune preuve probante ne soit apportée contre vous ».
Après avoir reçu la plainte d’Anjum Sindhu, la police a arrêté les deux maîtres chanteurs et récupéré la somme d’argent extorquée. Puis, après avoir saisi le fichier audio, les forces de police ont enregistré au nom de l’Etat un cas de blasphème pour chacun des trois protagonistes : un pour avoir blasphémé et deux pour détention et conservation de propos blasphématoires. En plus de la peine de mort, les deux maîtres chanteurs ont également écopé de 35 ans de prison et d’une amende de 800 000 roupies (6 850 euros) pour extorsion de fonds.
Selon Arif Goraya, l’avocat du chef d’établissement, les onze témoins étaient des policiers, et les élèves présents pendant le discours enregistré n’ont même pas été entendus pour vérifier la véracité des accusations. « Durant le réquisitoire, j’ai alerté à plusieurs reprises la Cour militaire sur le fait qu’il n’existait pas de preuve directe des accusations faites à mon client, et que l’enquête souffrait de nombreuses failles, ce qui rendait l’ensemble de la procédure judiciaire suspecte. » L’avocat ajoute qu’étant donné que l’islam interdit l’écoute de propos blasphématoires, personne n’a jusqu’à présent écouté l’enregistrement audio pour vérifier qu’il s’agissait bien d’une affaire de blasphème.
Une condamnation fondée sur de fausses accusations
Pour Asif Sindhu, son frère a été condamné à la peine capitale sur de fausses accusations et, en plus, il a écopé d’une amende de 500 000 roupies (4 280 euros). « Anjum Sindhu était au service de la ville depuis une vingtaine d’années, ses établissements accueillaient près de 2 000 élèves et il était apprécié aussi bien des chrétiens que des musulmans », précise un ami proche de sa famille.
« Mon frère est allé dans un commissariat pour porter plainte contre une extorsion de fonds et, à présent, au lieu d’être défendu par la justice, il est emprisonné et condamné à mort pour une accusation mensongère de blasphème. A quel de type de justice avons-nous affaire ? », s’insurge Asif Sindhu.
Au Pakistan, les tribunaux militaires antiterroristes ont été mis en place en janvier 2015, afin d’accélérer les procédures dans les affaires de terrorisme, en réponse à une des attaques les plus meurtrières de l’histoire du Pakistan, perpétrée le 16 décembre 2014, contre une école de Peshawar, qui avait fait plus de 140 morts, dont 134 écoliers. Mais d’après différentes études, de nombreuses irrégularités judiciaires ont été constatées dans les décisions de justice rendues par ces tribunaux d’exception.
D’après des sources militaires, ces tribunaux ont déjà condamné 81 personnes, dont 77 personnes à la peine capitale, aucun acquittement n’ayant été prononcé jusqu’à présent. Au moins 27 condamnés ont fait appel auprès d’une cour civile affirmant que leurs aveux avaient été extorqués sous la contrainte et que le droit de recourir à un avocat leur avait été refusé.
Selon l’agence Reuters, sur les dix tribunaux militaires créés au Pakistan, trois interviennent avant la Cour suprême, un à la Cour d’appel d’Islamabad et six à la Cour d’appel de Lahore. Pour la Commission internationale des juristes (International Commission of Jurists), une ONG internationale qui veille au respect des droits de l’homme d’un point de vue judiciaire et qui vient de publier un avis très critique sur le système judiciaire pakistanais, les tribunaux militaires antiterroristes du Pakistan « sont bien en dessous des normes internationales qui exigent une indépendance et une impartialité des tribunaux lors des procès ».
(eda/nfb)