Eglises d'Asie

La junte amende la loi monastique pour écarter Somdet Chuang de la direction de l’Eglise bouddhique

Publié le 02/01/2017




La junte au pouvoir en Thaïlande a tenté de régler le problème de la nomination du nouveau chef de l’Eglise bouddhique (ou patriarche suprême) en altérant la loi monastique concernant la procédure de nomination. Il est trop tôt pour savoir si cette initiative audacieuse va permettre d’apaiser les tensions qui se sont accumulées …

… depuis un an autour de cette question ou, au contraire, si elle va poser les bases d’un conflit encore plus aigu pour l’avenir. Dans tous les cas, elle accentue encore l’asservissement de l’Eglise bouddhique à l’Etat central.

Le 29 décembre, l’Assemblée législative nationale, une assemblée parlementaire de 250 membres entièrement nommée par la junte qui a pris le pouvoir le 22 mai 2014, a voté à l’unanimité un amendement à la loi monastique de 1962, portant sur la procédure de nomination du patriarche suprême. Les trois votes nécessaires pour le passage de la loi ont été faits en moins d’une heure, sans débat, avec apparemment l’intention de « boucler l’affaire » rapidement. Jusqu’alors, le Conseil suprême du Sangha (la communauté monastique), composé de 20 moines ayant reçu des titres ecclésiastiques élevés, suggérait un nom pour le poste au Premier ministre, qui devait le transmettre au roi pour approbation. Des conditions strictes régissaient le choix du candidat : celui-ci devait être le moine ayant reçu le rang de somdet-phra-ratcha-khana (titre ecclésiastique le plus élevé octroyé par le roi) depuis le plus longtemps.

Le Conseil suprême du Sangha exclu de la procédure de nomination du patriarche suprême

Cet article (ajouté à la loi de 1962 par un amendement établi en 1992) laissait planer une ambiguïté sur la faculté éventuelle du Premier ministre de ne pas transmettre le nom du candidat suggéré au roi, s’il estimait ce choix inadapté. Cette ambiguïté avait été mise en relief l’an dernier, en 2016, lorsque le général Prayuth Chan-ocha, chef de la junte et Premier ministre, avait refusé de transmettre le nom du moine Somdet Phra Maha Ratchamangalacharn (aussi nommé Somdet Chuang) proposé par le Conseil suprême du Sangha, parce que le bonze était impliqué dans une affaire d’évasion fiscale liée à l’importation d’une voiture de collection. De nombreux moines avaient alors protesté contre cette attitude du Premier ministre et une manifestation de moines en février avait provoqué des heurts avec les militaires. Depuis le décès du patriarche suprême en 2013, Somdet Chuang présidait le Conseil suprême du Sangha et occupait la position de patriarche suprême provisoire.

Le nouvel amendement retire tout rôle au Conseil suprême du Sangha dans la procédure de nomination du patriarche suprême. Le nouvel article stipule que « le roi nomme le patriarche suprême, et ce choix est ensuite contresigné par le Premier ministre ». Dans les jours qui ont précédé le vote, certains moines militants, comme Phra Methee Thammajarn, le recteur-adjoint de l’université bouddhique Maha Chulalongkorn, avaient dénoncé la réforme à venir et même laissé entendre qu’une nouvelle mobilisation pourrait intervenir. Dans un entretien accordé à Eglises d’Asie en mai dernier, ce moine avait notamment déclaré : « Comment la communauté monastique peut-elle se maintenir ? On lui retire le droit de se protéger, de s’administrer. Elle ne peut même pas prendre la décision la plus importante, la nomination du leader du Sangha. (…) Les moines dans tout le pays se sentent profondément meurtris par la façon dont le gouvernement agit. »

Curieusement, dès après le vote de l’amendement, Phra Methee Thammajarn a fait marche arrière et demandé à ses troupes monastiques d’attendre de voir comment les événements allaient se développer – une attitude qui suggère que des tractations en coulisses ont peut-être permis d’atteindre un « arrangement » entre les différentes parties. Mais l’affaiblissement important des prérogatives du Conseil des Anciens, comme on appelle aussi le Conseil suprême du Sangha, non seulement renforce le mécontentement de nombreux bonzes vis-à-vis des autorités politiques, mais pourrait aussi entrainer une division accrue au sein de la communauté monastique elle-même.

Une version hétérodoxe et matérialiste du bouddhisme

La véritable raison pour laquelle la junte et ses partisans conservateurs veulent écarter Somdet Chuang, âgé de 90 ans, du poste de chef de la communauté bouddhique vient de ses liens étroits avec le temple Wat Phra Dhammakaya, un temple financièrement et politiquement influent qui prône une version hétérodoxe et matérialiste du bouddhisme, plus proche de sa version Mahayana que du bouddhisme Theravada thaïlandais. La junte a tenté de mettre au pas depuis plus d’un an le temple Dhammakaya, impliqué dans de multiples scandales financiers et fonciers, sans résultat pour l’instant. Beaucoup craignaient que la nomination de Somdet Chuang consacre la domination du temple Dhammakaya sur le bouddhisme thaïlandais.

La mise à l’écart de Somdet Chuang pénalise la congrégation Mahanikai, l’antique congrégation du bouddhisme thaïlandais qui regroupe actuellement entre 80 et 90 % des moines du royaume. Plus populaire et plus provinciale que la congrégation Thammayut, créée par le prince Mongkut en 1833, la branche Mahanikai n’a occupé la position de patriarche suprême que six années depuis 1945, contre 48 années pour la branche d’obédience royale et élitiste Thammayut. Certains bonzes, comme Phra Paisal Visalo, abbé du temple de la forêt Sukato (dans la province de Chaiyapum), estime que les frustrations commencent à s’accumuler parmi les bonzes Mahanikai, qui avaient cru voir, avec Somdet Chuang, l’occasion de briser le quasi-monopole des Thammayut. D’autres bonzes toutefois mettent en garde contre une « sur-interprétation » de la controverse autour du poste de patriarche suprême et mettent en relief « l’harmonie » entre les deux congrégations.

(eda/ad)