Eglises d'Asie – Thaïlande
Faute de soins, un chrétien pakistanais est mort dans une prison de Thaïlande
Publié le 30/05/2017
… sans soins pendant plusieurs heures alors qu’il s’était plaint de manière répétée de douleurs dans la poitrine.
Les détails de la mort d’Ijaz Paras Masih ont été donnés à Eglises d’Asie par l’organisation non gouvernementale British Pakistani Christian Association (BPCA), qui s’occupe des chrétiens pakistanais ayant fui leur pays à cause de menaces. Wilson Chowdhry, président de l’organisation, a visité la veuve et les trois enfants d’Ijaz Masih dans un immeuble de la banlieue de Bangkok le lendemain de sa mort et a interrogé deux jours après plusieurs détenus de la prison de l’immigration qui ont assisté au tragique incident.
Réfugié en Thaïlande après avoir fui les menaces de musulmans pakistanais radicaux
Le parcours d’Ijaz Masih évoque celui de milliers de Pakistanais chrétiens qui ont fui leur pays à cause de persécutions religieuses. En 2015, Ijaz Masih et l’ensemble de sa famille sont menacés de représailles par des extrémistes musulmans parce qu’ils ont hébergé deux frères qui avaient été accusés de blasphème. Devant les risques de violence, la famille élargie décide de quitter le Pakistan, certains des membres partant en Malaisie, d’autres à Dubaï et d’autres encore en Thaïlande. Ijaz Masih rejoint la Thaïlande avec sa femme Shahida et ses enfants, ainsi qu’avec plusieurs frères et sœurs, tous ayant un visa de touriste de deux mois. Comme l’énorme majorité des Pakistanais chrétiens, ils ont déposé une demande d’asile auprès du bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) de Bangkok et sont restés en Thaïlande après l’expiration de leur visa de touriste.
Quand il est arrêté avec un de ses frères et une de ses sœurs en juin 2016, Ijaz Masih porte sur lui la carte de demandeur d’asile délivrée par l’UNHCR, ce qui en théorie doit lui permettre d’échapper à la détention. Malgré cela, il est détenu à la prison de l’immigration, où sa santé se dégrade rapidement. Le 22 octobre 2016, il s’effondre suite à une attaque cérébrale. Les autorités pénitentiaires le transfèrent dans un hôpital où il est soigné pendant trois semaines. Sa santé est gravement altérée : le côté gauche de son corps est partiellement paralysé. La direction de la prison demande que soit pris en charge les frais d’hospitalisation, mais la famille d’Ijaz Masih n’a pas l’argent et l’UNHCR refuse de payer. C’est finalement un pasteur protestant dévoué qui paiera la note.
Vendredi 27 mai, alors que les gardiens font faire aux prisonniers des exercices physiques matinaux, Ijaz Masih se plaint de fortes douleurs dans la poitrine. Les gardiens estiment qu’il « joue la comédie », essaie de le forcer à poursuivre les exercices, puis, devant leur échec, le place dans une cellule d’isolement « pour le punir ». Durant plusieurs heures, aux dires des autres détenus, Ijaz Masih crie sa souffrance et réclame des soins. Selon le BPCA, la direction de la prison ne réagit pas, par crainte que les frais médicaux ne soient pas couverts. Quand les gardiens le sorte après quatre heures de la cellule pour lui faire prendre une douche, Ijaz Masih s’effondre, victime d’une attaque cardiaque. Son corps est traîné par les gardiens dans une cellule commune et ce n’est que deux heures plus tard que la direction fait venir une ambulance.
Des réfugiés contraints à vivre dans l’illégalité
L’épouse d’Ijaz Masih et ses trois enfants sont bien évidemment profondément choqués par sa mort, mais aussi par l’attitude des autorités pénitentiaires qui, selon toutes apparences, auraient pu intervenir pour lui donner une chance de survie. De son côté, l’UNHCR, informé de l’incident le jour même, a indiqué ne pouvoir donner que 8 000 bahts (environ 200 euros) à la famille pour les frais funéraires. Shahida, l’épouse d’Ijaz Masih, souhaite rapatrier le corps au Pakistan, refusant absolument qu’il soit inhumé en Thaïlande.
Shahida, l’épouse d’Ijaz Paras Masih, et leurs trois enfants, le 28 mai 2017, au lendemain de la mort de son mari. (photo BPCA)
Les Pakistanais chrétiens constituent le groupe le plus important de détenus à la prison de l’immigration. Ils sont actuellement environ 125, parmi lesquels une vingtaine d’enfants et une quarantaine de femmes (ils étaient entre 200 et 250 en mars 2016). Selon le BPCA, il s’agirait de la troisième mort d’un Pakistanais chrétien dans cette prison depuis 2015. En mars 2016, la direction de la prison de l’immigration avait durci les conditions de visite des Pakistanais chrétiens détenus, en demandant à ce que les visiteurs soient accrédités par une organisation chrétienne basée en Thaïlande. Cette condition a été levée ces derniers mois et l’accès est désormais plus facile. Ces visites sont vitales car les aliments apportés permettent aux détenus non seulement d’améliorer le piètre régime alimentaire pénitentiaire, mais aussi d’obtenir des médicaments – ce qui est vital du fait du surpeuplement des cellules.
Environ 7 000 Pakistanais chrétiens vivent clandestinement en Thaïlande, regroupés dans des blocs d’immeubles de la banlieue de Bangkok. La durée d’examen de leur dossier de demandeur d’asile par l’UNHCR – entre trois et cinq ans – les place automatiquement dans l’illégalité, car ils ne peuvent pas renouveler leur visa initial de deux mois. Cette situation les empêche théoriquement de travailler et les met à la merci des rackets de la police, qui les arrêtent et ne les libèrent que contre paiement.
(eda/ad)