… prête à concéder aux catholiques chinois.
Hier, mardi 27 juin, lors du point-presse quotidien du ministère chinois des Affaires étrangères, le porte-parole Lu Kang a été cinglant : « La Chine s’oppose à l’ingérence de quelque nation étrangère que ce soit dans ses affaires intérieures. » Avant de poursuivre par une justification du contrôle que les autorités gouvernementales conservent sur la vie religieuse. « La Chine protège la liberté de croyance religieuse et les croyances de ses citoyens, conformément à la loi, mais comme dans d’autres pays, nous renforçons notre supervision des affaires religieuses, en accord avec nos pratiques historiques et nos traditions », a affirmé le diplomate.
Le Saint-Siège « profondément attristé »
La mise au point du porte-parole chinois venait, on peut le penser, en réponse à l’appel adressé le 20 juin dernier par l’ambassadeur d’Allemagne en poste à Pékin. Le diplomate allemand avait ce jour-là appelé les autorités chinoises à rendre à l’évêque catholique de Wenzhou, Mgr Shao Zhumin, sa liberté de mouvement (l’évêque en question a été « soustrait » à ses fidèles le 18 mai dernier et il est maintenu au secret depuis cette date, sans doute dans une « résidence » policière) ; le diplomate avait aussi dit sa préoccupation quant à « un certain nombre de dispositions » prévues dans la loi sur les affaires religieuses actuellement à l’étude.
On peut aussi et surtout penser que la mise au point du porte-parole chinois venait en réponse à la déclaration faite ce 26 juin à Rome par Greg Burke, directeur de la salle de presse du Saint-Siège. « Le Saint-Siège observe avec une grave préoccupation la situation personnelle de Mgr Peter Shao Zhumin », a déclaré ce responsable de la communication du Vatican, ajoutant encore que Rome « est profondément attristé » par le sort réservé à l’évêque de Wenzhou ainsi que « par d’autres épisodes similaires qui malheureusement ne facilitent pas les chemins de compréhension ».
« Grave préoccupation » au sujet de l’évêque de Wenzhou. « Episodes similaires qui ne facilitent pas les chemins de compréhension. » De la part du Saint-Siège, dont la communication officielle est millimétrée, les mots sont forts et pèsent d’autant plus que, selon nos informations, les négociateurs chinois chargés de mettre au point un accord entre l’Eglise catholique et la Chine populaire venaient de quitter Rome. Après plusieurs jours de travail avec leurs homologues du Vatican, les négociateurs chinois ont en effet repris l’avion pour Pékin il y a quelques jours.
Insistance de Pékin sur la « sinisation » des religions
En l’absence d’information sur le contenu des négociations entre Rome et Pékin, on ne peut qu’interpréter ce que laissent entendre les déclarations de l’une et l’autre partie. A l’évidence, du côté de Rome, on perçoit un agacement certain à ce que les négociations se poursuivent (elles ont débuté il y a trois ans) sans que sur le terrain, en Chine, le gouvernement chinois ne donne de gages témoignant de sa bonne volonté en matière de liberté religieuse.
Pour le Saint-Siège, les ennuis causés à Mgr Shao Zhumin sont comme la partie émergée, visible, de l’iceberg. Ils viennent s’ajouter à ce que la déclaration de Greg Burke du 26 juin désigne comme d’« autres épisodes similaires qui ne facilitent pas les chemins de compréhension ». Parmi ces « épisodes », Eglises d’Asie a rendu compte des célébrations eucharistiques qui sont organisées en Chine autour de Ma Yinglin, l’évêque illégitime (car non reconnu par le pape) de Kunming, dans le Yunnan. Le 11 juin dernier par exemple, trois évêques « officiels » et en communion avec Rome ont concélébré la messe avec Ma Yinglin en la cathédrale du Sacré-Cœur de Kunming – un geste qui ne peut que blesser l’unité de l’Eglise catholique en Chine tant la concélébration d’évêques légitimes avec un évêque illégitime est contraire à la communion de l’Eglise.
Un autre « épisode » ne facilitant pas la compréhension entre Pékin et Rome est celui qui s’est déroulé du 20 au 23 juin à Pékin. Durant ces quatre jours, l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses, instance de rang ministériel qui pilote la mise en œuvre de la politique religieuse du gouvernement et du Parti communiste, a réuni quelque 150 catholiques (évêques, prêtres, religieuses et laïcs de la partie « officielle » de l’Eglise) venus de quasiment toutes les provinces du pays pour un séminaire de « formation ». Ce séminaire a pris place un peu plus d’un an après la « Conférence nationale de travail sur les religions », conférence qu’avait présidée le président Xi Jinping et dont l’axe avait été la poursuite de l’œuvre de « sinisation des religions » afin que le pays soit préservé de toute « infiltration venue de l’étranger ».
Destiné à l’Eglise catholique, ce séminaire a vu différentes personnalités prononcer des discours, discours qui dessinent les grands axes de la politique actuelle du Parti sur l’Eglise. Vice-directrice de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses, en charge du Deuxième Bureau (chargé de la supervision des chrétiens), Mme Dai Chenjing a ainsi mis en avant cinq points : développer la sinisation de l’Eglise catholique de Chine, garder haut le drapeau ‘Aimer la patrie, aimer l’Eglise’, tenir fermement le principe d’indépendance de l’Eglise de Chine, approfondir et développer l’administration démocratique de l’Eglise, et discerner avec netteté et justesse les relations sino-vaticanes. Si le cinquième point présente une relative nouveauté, le discours de ce haut responsable, donné le 20 juin après-midi, est en droite ligne avec l’orthodoxie la plus classique de la politique religieuse des autorités chinoises : si le lien des catholiques avec Rome n’est plus nié, il est cantonné à une dimension purement spirituelle (« prier pour le pape ») tandis qu’est réaffirmé, entre autres choses, la nécessité de maintenir le principe d’autonomie dans la sélection et la nomination des évêques.
Dans la matinée du 23 juin, Ma Yinglin a prononcé un discours, introduisant une distinction entre la sinisation de l’Eglise catholique – « une question politique », selon lui, relevant donc du Parti et du gouvernement – et l’inculturation – « une question ecclésiale », toujours selon lui, par laquelle l’Eglise s’interroge sur la meilleure manière pour elle de s’intégrer dans une culture, un peuple donné.
Si le pontificat du pape François, lequel n’a jamais fait mystère de son désir de se rendre un jour prochain en Chine continentale, a coïncidé avec une reprise des négociations sino-vaticanes, le fait que les contacts se développent n’empêche pas les difficultés, rendant toute issue incertaine quant à une éventuelle « normalisation » des relations entre Rome et Pékin.
(eda/ra)