Eglises d'Asie

Tibet : le XIVe dalaï lama pense qu’il sera le dernier de sa lignée

Publié le 08/09/2014




« L’institution du dalaï lama existe maintenant depuis près de cinq siècles. Cette tradition peut aujourd’hui s’arrêter avec le XIVe dalaï lama », a déclaré hier à la presse allemande Tenzin Gyatso, actuel dalaï lama et leader spirituel de la communauté tibétaine en exil.

L’annonce a fait l’effet d’une bombe, aussi bien au sein de la communauté internationale que de la diaspora tibétaine, pour lesquels l’avenir du Tibet peut difficilement s’envisager sans l’aura médiatique du prix Nobel de la paix, âgé aujourd’hui de 79 ans.

C’est en répondant à un journaliste du Welt am Sonntag, Tenzin Gyatso, que le XIVe dalaï lama a annoncé qu’il pensait mettre fin à un système politico-religieux remontant à près de cinq siècles. « Si un XVe dalaï lama venait et faisait honte à la fonction, toute l’institution en serait ridiculisée… Le XIVe dalaï lama est aujourd’hui très aimé : laissez-nous finir avec un dalaï lama populaire ! », a ajouté en riant le chef spirituel tibétain.

Une boutade qui évoque explicitement la menace qui pèse sur l’institution des dalaï lamas depuis que Pékin a annoncé en que seul le gouvernement chinois serait habilité à choisir le successeur de Tenzin Gyatso.

Une menace de destruction de l’institution elle-même de l’intérieur, qui a déjà été mise à exécution des années auparavant avec la disparition du panchen lama (1) et de toute sa famille au Tibet peu après la reconnaissance du jeune tulku (2) âgé de 6 ans par le dalai lama. Aucune nouvelle n’a filtré depuis sur « le plus jeune prisonnier politique du monde », Gendhun, qui a été remplacé par un panchen lama nommé par Pékin et instruit par le Parti avant d’être envoyé il y a trois ans prêcher au Tibet « la libération pacifique du peuple tibétain par la Chine bienveillante ».

Pour les proches du leader tibétain, l’annonce, qui semble être surprenante, a en réalité été mûrement réfléchie, et déjà précédée de progressives mais claires déclarations allant dans le même sens. « Il faut replacer cette déclaration dans le contexte », a expliqué à Eglises d’Asie ce lundi 8 septembre, l’un des représentants du dalaï lama au Bureau du Tibet. « L’institution des dalaï lamas en tant que chefs spirituels et temporels du Tibet existe depuis cinq siècles. Et il ne faut pas oublier que Sa Sainteté le XIVe dalaï lama a déjà mis fin à une partie de ce pouvoir en abandonnant toute responsabilité politique il y a trois ans. »

Dès 2010 en effet, peu avant son abdication politique, le dalaï lama avait déjà remis en question le système traditionnel de réincarnation de la lignée en précisant qu’il réévaluerait – en raison de la situation particulière que vivait le Tibet – « la façon dont l’institution des dalaï lama se poursuivrait, et si elle se poursuivrait ».

« Ce que dit le dalaï-lama, poursuit le représentant du gouvernement central en exil, au sujet de sa succession – et donc sa future réincarnation –, c’est qu’elle pourrait ne pas avoir lieu si le peuple tibétain décide que cela n’a plus de raison d’être aujourd’hui »

Cela fait déjà de nombreuses années que le dalaï lama avoue publiquement se soucier de sa succession, ayant constaté « l’échec de la voie du juste milieu » soutenue face à la Chine depuis son exil il y a plus de 50 ans (3). Après avoir tenté en vain de convaincre Pékin de la nécessité de donner une part d’autonomie au Tibet – et non pas l’indépendance –, le leader spirituel avait assisté, impuissant, à l’aggravation de la répression au Tibet, et surtout aux séries d’immolations de moines et de laïcs tibétains, au nom de la « liberté et du retour du dalaï lama ».

L’appui et la sympathie de la communauté internationale qu’il s’était efforcé d’obtenir au cours d’inlassables visites à travers le monde, n’avaient pas été suffisants, pour obtenir une quelconque amélioration de la situation, en plusieurs décennies.

L’abandon de ses charges politiques n’avait pas non plus suffit à rassurer Pékin, qui avait réagi en multipliant les menaces de récupération de l’institution des dalai lamas après la mort de son dernier représentant. Tenzin Gyatso avait alors dérouté le gouvernement chinois en annonçant que le dalai lama pouvait très bien, si les conditions n’étaient pas réunies au Tibet, se réincarner en Occident, voire, si cela était nécessaire, être une femme.

Peu après avoir transféré son pouvoir politique aux mains du Conseil tibétain en exil en 2011, le XIVe dalaï lama déclarait déjà : « Si la situation au Tibet reste la même, je renaîtrai hors du Tibet, loin du contrôle des autorités chinoises, pour continuer mon travail inachevé. »

Parmi les différentes possibilités que le chef spirituel des Tibétains avait envisagées concernant sa succession, figuraient également la désignation éventuelle du prochain dalaï lama par lui-même ou une assemblée. Le XIVe dalai lama avait évoqué le fait qu’il pourrait s’agir de l’actuel karmapa (4) ou encore nouveau Premier ministre tibétain. Et enfin, comme il l’a réaffirmé hier, qu’en tant que seul et unique détenteur du titre de dalai lama, il lui appartenait de pouvoir décider d’abolir l’institution elle-même.

Avec cette annonce, reviendront certainement en force les rumeurs qui avaient couru dans les années 1980 autour d’une prophétie, affirmant que Tenzin Gyatso serait le dernier dalaï-lama. Un livre publié en 1986, Le dernier Dalaï-Lama ? de Michael. H. Goodman, rapportait en effet qu’une ancienne prophétie tibétaine prévoyait que le peuple tibétain perdrait à la fois son pays et son dalaï lama, avant de les retrouver, tout en affirmant parallèlement que le XIVe dalaï lama serait le dernier de la lignée. Une possibilité accréditée par Tenzin Gyatso lui-même qui, dans un entretien avec l’auteur, expliquait avoir déjà envisagé de transmettre son titre de son vivant, et d’interrompre donc la longue succession des reconnaissances traditionnelles des réincarnations des tulku.

Près de trente ans avant cette déclaration du 7 septembre 2014, le XIVe dalaï lama annonçait donc déjà, dans cet ouvrage au titre provocateur, « que le choix d’un dalaï-lama par le peuple tibétain n’était nécessité que par l’utilité ou non de cette institution ». Une décision mûrement réfléchie donc.

Il demeure que la figure charismatique du XIVe dalaï lama reste indissociablement liée à la cause du Tibet, aussi bien pour la population qui continue de sa battre contre l’oppression sur le toit du monde, que pour sa diaspora en exil, ainsi que pour la communauté internationale qui s’est habituée depuis les années 1950 à associer dans une même représentation iconique le chef spirituel, le leader politique, et le peuple tibétain lui-même…

(eda/msb)