Eglises d'Asie

31 ans après Jean-Paul 2, le pape François va à son tour à la rencontre de l’âme du peuple du Bangladesh

Publié le 24/11/2017




Dans un message vidéo diffusé le 21 novembre, le pape François a confié se rendre au Bangladesh afin de confirmer dans sa foi la communauté catholique, ultra-minoritaire, et pour promouvoir la compréhension mutuelle et le respect entre communautés. Des valeurs, parfois mises à mal dans ce pays multireligieux, que le pape Jean-Paul 2 avait saluées en 1986.

Premier souverain pontife à se rendre au Bangladesh, Etat souverain depuis le 16 décembre 1971 (1), Jean-Paul 2 s’était présenté, lors de la cérémonie de bienvenue à l’aéroport, le 19 novembre 1986, comme « un pèlerin, venu à la rencontre de l’âme du peuple du Bangladesh ». Il avait ensuite rendu hommage à la culture ancienne de ce pays, « reflet des contacts avec de nombreuses religions, traditions, races et langues », soulignant que de « nombreux groupes linguistiques, culturels et religieux vivaient côte-à-côte ». « Que l’esprit de notre rencontre soit celui de l’harmonie, de la paix et de la fraternité », avait-il ajouté.

« L’harmonie et la paix » constitue justement le thème de la visite que le pape François effectuera à Dacca du 30 novembre au 2 décembre prochains. Un déplacement qui est à la fois un pèlerinage, pour le Saint-Père et pour la petite communauté catholique locale, et « une opportunité de célébrer l’harmonie entre les religions, dont les bases sont solides », comme l’a confié le cardinal Patrick D’Rozario, archevêque de Dacca, à la Rédaction d’Eglises d’Asie.

Le pape François, pour soutenir la petite communauté catholique locale

Dans un message vidéo du 21 novembre, le pape François déclare notamment venir « confirmer la communauté catholique du Bangladesh dans sa foi et son témoignage de l’Evangile qui enseigne la dignité de tout homme et toute femme et qui appelle à ouvrir nos cœurs aux autres, spécialement aux plus pauvres et aux nécessiteux. » Longtemps intégré dans la catégorie des pays ayant les revenus les plus bas au monde (2), le Bangladesh se caractérise en outre par sa population particulièrement nombreuse (150 millions selon le recensement 2011, ce qui fait de la main d’œuvre de ce pays sa principale richesse), jeune (la moitié de la population a moins de 26 ans) et rurale (la population urbaine représentait 28% de la population en 2011).

Dans ce pays du sous-continent indien régulièrement confronté à des catastrophes d’origines naturelle et humaine, la communauté catholique constitue une toute petite minorité, forte de 380 000 fidèles, servie par 340 prêtres locaux, répartie dans 8 diocèses.

Malgré ses modestes moyens, L’Eglise catholique est engagée au service « des plus pauvres et des nécessiteux ». Ainsi, la Caritas locale apporte son soutien aux victimes des catastrophes naturelles et, depuis 1979, aux Rohingyas réfugiés au Bangladesh, qui fuient la Birmanie. « Notre toute petite Eglise, dans cette zone où elle n’est pas implantée, apporte son aide à ce qui est l’un des plus grands désastres de l’humanité » confie ainsi le cardinal D’Rozario à Eglises d’Asie à ce sujet. Contactée par la Rédaction, la Caritas locale a indiqué prendre en charge 40 000 familles de réfugiés rohingyas, soit près de 200 000 personnes.

Cette Eglise, au service de la périphérie, se distingue en outre par sa dimension missionnaire, certes modeste : une vingtaine de prêtres bangladais sont actuellement en mission ad extra, et six des seize diacres qui seront ordonnés par le pape le 1er décembre prochain sont destinés à leur rejoindre.

La décision du Saint-Père de rendre visite à l’Eglise du Bangladesh et de présider l’ordination sacerdotale le 1er décembre, 31 ans après l’ordination de 18 diacres par le pape Jean-Paul 2, témoigne de l’affection du souverain pontife à l’égard de cette Eglise de la périphérie. Le pape François ne manquera sans doute pas, à l’occasion de la visite de la cathédrale de l’Immaculée-Conception de Dacca, de se recueillir sur la tombe de Mgr Theotonius Amal Ganguly, premier évêque local du pays, déclaré « serviteur de Dieu » par le Saint-Siège le 2 septembre 2006.

Le pape François, pour encourager au dialogue interreligieux dans une société multireligieuse

Dans son message vidéo, le pape François confie par ailleurs avoir « tout spécialement hâte de rencontrer les responsables religieux » dans le jardin de l’archevêché de Dacca. Une rencontre interreligieuse et œcuménique est en effet prévue le vendredi 1er décembre à laquelle 500 personnes, reflet de la diversité religieuse du pays, devraient participer. « Afin de prier ensemble pour la paix », souligne le cardinal D’Rozario.

Etats indépendant encore relativement jeune, le Bangladesh est, selon les mots du pape Jean-Paul 2 au nouvel ambassadeur du Bangladesh auprès du Saint-Siège le 19 novembre 1994, « le fruit de traditions spirituelles multiséculaires qui a choisi la liberté religieuse et cherche à ne pas faire de discrimination dans la protection des divers groupes religieux présents dans la société. » Pays musulman à près de 90% où l’Islam n’est religion d’Etat que depuis 1988, le Bangladesh connaît de nombreuses minorités religieuses, fruit de son histoire, notamment hindoue (9,5%), bouddhiste (0,6%) et chrétienne (0,5%).

Ces dernières années, le pays a été confronté à un terrorisme de masse, qui frappe en particulier « les minorités religieuses, les blogueurs laïcs, les intellectuels et les étrangers », selon le rapport annuel, publié le 26 avril 2017, de la Commission des Etats-Unis sur la liberté religieuse dans le monde. Cette organisation dénonce en outre le climat de « peur » qui s’est installé dans le pays, en raison des groupes extrémistes, locaux et internationaux. Un constat que confirme la Conférence chrétienne d’Asie, s’alarmant d’une manipulation des sentiments religieux par certains partis politiques.

Une société multireligieuse menacée

Au lendemain de l’indépendance, depuis le putsch de 1975 qui a renversé Bangabandhu Sheikh Mujib Ur-Rahman, le pays s’est enfoncé dans une instabilité politique dominée par les coups d’Etats et l’alternance au pouvoir des deux partis rivaux, l’Awami League (AL) dirigé par Sheikh Hasina, et le Bangladesh Nationalist Party (BNP) mené par Khaleda Zia. Si le BNP se présente comme un parti conservateur et nationaliste prônant les valeurs de l’islam, la Ligue Awami se définit quant à elle comme défendant des valeurs laïques et socialistes.

C’est dans ce contexte politique que se multiplient les groupes de pression proches des milieux islamistes, notamment l’organisation Hefazat-e-Islam (‘Protecteurs de l’islam’), qui avait s’était fait connaître en 2013 pour avoir demandé la mise en place d’une législation contre le blasphème, semblable à celle en vigueur au Pakistan. Hérité du Code pénal mis en place par le colonisateur britannique en 1860, le droit local ne reconnaît qu’un délit relatif au fait de « blesser les sentiments religieux » ; mais depuis une loi sur les technologies de l’information, votée en 2013, il est interdit de publier sur Internet tout élément qui pourrait « nuire à l’ordre public et à la loi » et la diffamation envers les religions est nommément citée.

« Le Bangladesh a montré comment il est possible de vivre dans la paix et l’harmonie au sein d’une société multireligieuse » s’enthousiasmait pourtant en 2011 le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à l’issue d’une visite de trois jours dans ce pays. Avant de repartir pour Ciampino, est prévue une rencontre du Saint-Père avec 10 000 jeunes, de différentes religions, au collège Notre-Dame de Dacca, un établissement catholique particulièrement réputé. Ce qui témoigne de la volonté du souverain pontife d’encourager les générations futures à retrouver l’âme de leur pays.