Eglises d'Asie

Visite sous haute tension de la Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU

Publié le 30/08/2013




La visite était attendue depuis plus d’un an, annoncée depuis plusieurs mois, et repoussée à plusieurs reprises. Navaneetham (Navi) Pillai, Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, qui connaît bien le dossier sri-lankais, avait sommé Colombo, en mars dernier, lors d’un vote-sanction de la Commission, de présenter, lors d’une visite sur place de l’ONU, des résultats d’enquête crédibles sur le sort des civils durant la dernière phase de la guerre civile (1).

A quelques semaines de la réunion des membres du Commonwealth à Colombo, sur laquelle le président compte grandement pour redorer son blason auprès de la communauté internationale, cette visite d’inspection pourrait coûter très cher à Mahinda Rajapaksa qui persiste à nier en bloc les accusations de génocide, de crimes de guerres et de violations des droits de l’homme. Déjà plusieurs des pays invités ont fait connaître leur intention de boycotter le rassemblement de Colombo, si le Sri Lanka continue de refuser la venue de la Haut Commissaire.

Afin de manifester sa désapprobation face aux pressions de l’ONU, le président s’était envolé pour une visite de trois jours en Biélorussie le jour même de l’arrivée de Navi Pillai à Colombo. La Haut Commissaire, qui doit rester une semaine dans l’île (du 25 au 31 août), a réaffirmé cependant son intention de rencontrer le président, ainsi que les hauts représentants de l’Etat, mais aussi les ONG et la population civile sur les « lieux même du conflit ».

Dès son arrivée sur le sol sri-lankais, Navi Pillai a tenu à préciser n’être « pas venue ici pour juger mais pour seulement vérifier que le gouvernement se conformait aux normes internationales concernant les droits de l’homme ». L’une des missions de la Haut Commissaire, dont le rapport sera examiné lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme à Genève en septembre prochain, consiste en effet à « vérifier l’application des recommandations de la Lessons Learnt and Reconciliation Commission (LLRC) » (2), créée et supervisée par Mahinda Rajapaksa lui-même.

Sur les sites Internet du gouvernement, comme dans la presse d’Etat, l’importance de la venue de la Haut Commissaire a été très fortement minimisée : l’agence de presse officielle consacre une dizaine de longues dépêches à la visite du président sri-lankais en Biélorussie, se contentant seulement de mentionner que « la Haut Commissaire aux droits de l’homme Navi Pillai a visité Jaffna le 27 août ». La même presse fait part en revanche de manifestations à Colombo de moines bouddhistes proches du pouvoir demandant le départ de la Haut Commissaire.

Jeudi 29 août, la Haut Commissaire a poursuivi sa visite de la partie tamoule de l’île, selon un itinéraire préparé par les officiels, à la grande déception des populations et des ONG qui tentent cependant de suivre le convoi de l’émissaire de l’ONU en se massant le long des routes avec des pancartes appelant à l’aide en anglais et en tamoul.

La Haut Commissaire a cependant obtenu de pouvoir entrer en contact avec des habitants des zones sinistrées, après avoir fait part de son vif mécontentement de l’incident survenu à Jaffna, le 27 août. Navi Pillai avait été reçue par les autorités locales dans la bibliothèque de la ville pour y entendre l’exposé officiel sur la réhabilitation et la réinstallation des populations civiles sur le territoire. Au même moment, des milliers de personnes s’étaient rassemblées devant le bâtiment, brandissant les photos de leurs disparus, et réclamant, en pleurant et criant, de se faire entendre de la représentante des Nations Unies. Afin d’éviter que Navi Pillai ne voie ou n’entende la foule, les autorités locales l’avaient fait sortir par une porte dérobée, pendant que la police chargeait les manifestants. Ayant appris les faits, la Haut Commissaire avait sévèrement condamné le comportement des autorités sri-lankaises, et demandé à ne plus être écartée des populations. A Kilinochchi et à Mullaittivu, où les combats furent particulièrement destructeurs, elle a donc rencontré des « survivants » de la guerre, qui lui ont rapporté les disparitions de civils, la confiscation de leurs terres par l’armée et leur vie sous occupation militaire depuis 2009. Selon le Sri Lanka Guardian, constatant que les témoins avaient peur de parler en présence des forces de l’ordre, omniprésentes, Navi Pillai a déclaré aux victimes qu’elles « pouvaient chuchoter à son oreille ».

Si, le 28 août, la Haut Commissaire a pu recevoir comme elle l’avait demandé les témoignages des déplacés tamouls de Vanni et Trincomalee, elle n’a pu en revanche se rendre dans l’ancienne « zone de haute sécurité » de Valikaamam, aujourd’hui reconvertie en zone militaire cinghalaise, l’armée ayant argué de « problèmes matériels ».

Vendredi 30 août prochain, pour la Journée internationale des personnes disparues, la Haut Commissaire rencontrera des proches des victimes, précise Amnesty International, qui affirme que « le nombre de civils disparus au Sri Lanka, pourtant largement sous-estimé, est aussi élevé que celui de l’Irak ». En prévision de cette rencontre, les leaders tamouls ont demandé à la Haut Commissaire de faire « tout ce qui était en son pouvoir pour protéger les témoins qui lui parleraient des représailles qu’ils risquaient de subir après son départ » (3). Cette question des disparitions inexpliquées au Sri Lanka est l’un des points sur lesquels la Commission des droits de l’homme avait demandé à Colombo d’enquêter, en vain, depuis des années.

Mais, souligne avec ironie le Sri Lanka Guardian du 27 août, de nombreux changements ont été effectués à la hâte depuis l’annonce de la visite de Navi Pillai, parmi lesquels figurent la création fin juillet d’une commission gouvernementale sur les disparus, ou encore le rattachement de la police au nouveau « ministère de la Loi et de l’Ordre », une autre « recommandation » de la LLRC qui n’avait jamais été appliquée.

Selon des sources locales, toujours en prévision du passage de la Haut Commissaire, plus d’une centaine de check-points ont été démantelés (certains au bulldozer) entre Jaffna et Mullaittivu. Les monuments à la gloire de l’armée sri-lankaise ont été camouflés sous des échafaudages avec la mention « en travaux » ainsi que toutes les marques de « cinghalisation » forcée de la zone tamoule. Quant aux soldats qui patrouillent habituellement en grand nombre sur le territoire, ils ont reçu l’ordre de s’habiller en civil et de cacher leurs armes sous leurs vêtements.

Le quotidien, qui subit régulièrement les menaces et les sanctions du gouvernement, conclut que l’émissaire de l’ONU doit être informée des violations de la liberté de la presse, au même titre que de celles des autres droits de l’homme. Un point de vue partagé par Reporters sans frontières (RSF) et Journalists for Democracy in Sri Lanka (JDS), qui ont publié le 27 aout une lettre ouverte à Navi Pillai, l’exhortant à « rechercher avec détermination les responsables des graves crimes commis envers les journalistes et la liberté des médias au Sri Lanka » (4).

La Haut Commissaire ayant décidé également de s’attaquer aux tensions interreligieuses, le ministre de la Justice Rauff Hakeem a déclaré le 27 août avoir exposé à Navi Pillai « les moyens mis en place par les ministres musulmans et bouddhistes » pour apaiser ces conflits et « faire sanctionner par la loi les actes de haine religieuse », rapporte de son côté le Daily Mirror. A aucun moment semble-t-il, la question des violences récurrentes de la majorité bouddhiste envers les minorités (chrétienne et musulmane) ne semble avoir été évoquée.
 

(eda/msb)